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caravanes qui pénètrent dans l’intérieur. Pendant les six mois qu’il y passa, il put se mettre en rapport avec une multitude de marchands nègres et arabes, et recueillit de leur bouche de précieux renseignemens sur la zone intertropicale qu’il désirait connaître. Ainsi préparé, il continua les fructueux travaux géographiques de la mission, fit plusieurs voyages et seconda avec zèle et habileté son collègue Rebmann. Après avoir recueilli une ample moisson de matériaux, ils dressèrent en commun une carte de cette partie de l’Afrique orientale qui se trouve entre la côte et le 21° degré de longitude est et s’étend depuis le 7° degré de latitude nord jusqu’au 15° degré de latitude sud. Sur cette carte figurait non-seulement le champ de leurs propres investigations et de celles du docteur Krapf, mais le plan des contrées sur lesquelles ils croyaient avoir obtenu les renseignemens les plus exacts. Ils y avaient placé à l’ouest de l’Unyamuezi une étendue d’eau qui n’embrassait pas moins de 14 degrés du nord au sud, une véritable mer méditerranée de trente à quarante mille lieues carrées, se terminant au midi par une pointe fortement inclinée vers l’est[1]

La publication de cette carte et des récits des explorateurs excita au plus haut point l’intérêt des géographes : ceux-ci comprirent qu’il y avait dans ces documens des résultats positifs et incontestables, des faits d’observation désormais acquis à la science ; néanmoins le nombre fut petit de ceux qui accueillirent sans réserve l’existence de cette mer intérieure. Les affirmations des pieux missionnaires ne purent ébranler la foi dans cette tradition qui, propagée par Ptolémée, admettait plusieurs lacs distincts encadrés dans le réseau des montagnes de la Lune. Ici, comme dans d’autres sphères, la tradition est restée maîtresse du terrain, et personne ne le lui contestera plus, car les faits sont venus lui assurer un complet triomphe.

Il est probable que c’est au sens élastique du mot nyanza ou nyassa qu’on doit attribuer l’erreur où sont tombés les voyageurs allemands. Dans les dialectes de l’Afrique orientale, ce mot s’applique à une étendue d’eau quelconque, mer, lac, étang, détroit, golfe et même rivière : de là l’incertitude qui s’attache aux renseignemens des naturels sur toute espèce d’amas d’eau. Aux questions que les missionnaires leur posaient sur les lacs, les uns auront répondu en montrant le nord-ouest, d’autres le soleil couchant, d’autres le sud-ouest, et de ces indices les voyageurs auront conclu que le mot nyanza désignait cette immense étendue. Ce qui vient à l’appui de nos conjectures, c’est que si l’on-réunit tous les lacs sub-équatoriaux, en leur conservant leurs places respectives, l’on re-

  1. Voyez, sur les explorations dans l’Afrique équatoriale, la Revue du 15 octobre 1856.