Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de dettes passives en demandent en vain l’exécution à M. Salaverria. Leur malheur et la résistance du ministre viennent d’une circonstance curieuse. Parmi les ressources affectées à l’amortissement, il en est qui ont donné des produits si considérables que les porteurs des passives seraient remboursés au pair, si ces produits, qui sont leur propriété légale, leur étaient distribués. Les créanciers avaient là des gages trop bons, qui eussent amplement suffi pour les payer, et M. Salaverria, au mépris d’un engagement gouvernemental qui ne date que de treize ans, et faisant banqueroute à ce qui n’était que le règlement d’une banqueroute antérieure, trouve, lui aussi ces gages trop bons pour vouloir s’en dessaisir. M. Salaverria a tenté, il y a quelques mois, d’imposer aux porteurs des passives un règlement nouveau qui était un désaveu choquant du règlement de 1851, et, malgré la connivence de commissions parlementaires trop complaisantes, cette tentative de spoliation, sous le coup du blâme de l’opinion, est venue échouer aux portes du sénat. Ce manque de foi financière a été jugé en Angleterre avec une sévérité malheureusement méritée, et l’interdit qui depuis quelques années exclut les valeurs espagnoles des principales bourses d’Europe a été rigoureusement maintenu. Il ne nous convient pas, à nous Français, d’imiter le langage employé à cette occasion par la presse anglaise ; nous n’essaierons pas de qualifier les doctrines et les procédés du ministre espagnol. Nous préférons parler à l’honneur et à l’intérêt bien entendu d’un peuple fier, et qui a tant de richesses naturelles à mettre en valeur. L’Espagne ne voudra point, en matière de crédit, tomber au-dessous de la Turquie, qui a consolidé ses caïmés, et qui dès lors se voit ouvrir tous les marchés européens. Le Mexique ne faisait pas honneur, lui non plus, à ses engagemens ; mais, le nouvel établissement impérial réussissant, on peut compter qu’il paiera ses dettes, et le système de M. Salaverria, s’il était continué, condamnerait sous ce rapport l’Espagne à une exception déplorable. Il en coûterait peu au gouvernement espagnol pour conclure avec les porteurs de passives une transaction équitable et pour éteindre cette dette criarde. L’entêtement de M. Salaverria lui coûte au contraire depuis quelques années des sommes énormes, il lui attire une sorte d’excommunication de crédit qui détourne de l’Espagne les capitaux français et anglais, qui déprime le cours des fonds publics, qui oblige le trésor à faire des emprunts précaires et flottans à des taux usuraires, qui appauvrit le pays et met les finances publiques en péril. L’Espagne est politiquement tranquille depuis dix ans, mais le désordre dans les finances peut ramener le trouble dans la politique. Des considérations de ce genre devraient être comprises par l’unanimité des hommes d’état espagnols : personne ne semble plus digne de les apprécier que le président du conseil, M. Mon, qui ne peut véritablement pas sacrifier son ancienne renommée à l’opiniâtreté de M. Salaverria.

E. FORCADE.