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REVUE CRITIQUE

L'IMAGINATION DANS L'HISTOIRE
LA RÉGENCE, PAR M. MICHELET.

Le travail de rénovation qui s’est produit dans l’histoire au commencement du XIXe siècle a eu un double résultat : la critique des faits a été assise, et, dans une heureuse mesure, l’union de l’art et de l’érudition a été assurée. Parmi les novateurs, les uns, des esprits austères et réfléchis, se mirent à écrire l’histoire en philosophes, posant le problème avec ses formules, dégageant la cause et l’effet du pêle-mêle des choses et des hommes. D’autres, en acceptant les précieuses données de cette analyse scientifique, qui restituait le corps de l’histoire, en voulurent de plus ressusciter l’âme. Ils se dirent qu’à côté des faits et des idées il y avait eu à toutes les époques des passions, des intérêts, des tressaillemens physiques et moraux, dont il était bon de prendre souci : au dessin, à l’anatomie raide et sèche, ils s’occupèrent d’ajouter la peinture avec ses tons chauds et ses harmonies. L’écriture et le texte mort rendirent le frisson de vie, les nerfs se remirent à vibrer, le sang à courir dans les vaisseaux.

Aujourd’hui plusieurs des chefs de ce mouvement ont cessé de vivre ou d’écrire, et le caractère de l’histoire moderne semble déjà se modifier. De générale et spéculative qu’elle était, elle devient volontiers monographique, et abandonne les vues d’ensemble pour le détail. Comme le roman et la poésie, qui trop souvent ne sont plus qu’œuvres de fantaisie personnelle, l’histoire s’attache à éclairer, à force de recherches et en entassant les pièces authentiques, telle figure isolée ou tel côté restreint d’une époque. Il y a moins d’un siècle, on faisait à peine usage du document, on est près