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immobile. Son rôle se réduit à se défendre contre les attaques sans avoir jamais rien de nouveau à découvrir. Il ne peut en être ainsi de la philosophie : elle ne parle pas au nom d’une vérité absolue une fois trouvée ; elle cherche, elle tâtonne, elle propose, elle n’impose rien : elle doit donc se développer progressivement, et, comme toutes les sciences, ajouter sans cesse de nouvelles lumières à celles qu’elle possède déjà ; elle se perd en s’immobilisant. L’ardeur du combat peut à la vérité lui donner momentanément une apparence de vie ; mais cette excitation venue du dehors s’épuiserait bien vite et épuiserait la science elle-même, si celle-ci ne se renouvelait par une source intérieure et par sa propre activité. Ce n’est rien proposer de téméraire que de convier l’école spiritualiste à s’imiter elle-même, à se rappeler ses commencemens obscurs et glorieux, où dans le silence de l’École normale elle étudiait avec passion les lois de la perception extérieure, les origines de nos idées, l’autorité de la connaissance humaine, les fondemens de la psychologie. Je ne dis pas qu’il faille toujours en rester aux questions préliminaires et éviter les dernières conclusions : ce serait là une autre faute en sens inverse ; mais il ne faut pas que les conclusions, devenues des dogmes, rendent indifférens à l’analyse et à la discussion des principes. À notre avis, le livre de M. Caro doit clore la période de la polémique. Il serait ridicule de dire que l’on ne discutera plus ; il ne le serait pas moins de renoncer aux recherches si avancées et si fructueuses de l’histoire de la philosophie, ou encore de renoncer aux applications morales et sociales ; mais la discussion, la critique historique, les applications à la vie doivent être subordonnées à la théorie. Cette règle est l’âme de la philosophie. Une philosophie s’abandonne elle-même lorsqu’elle oublie ou néglige les recherches théoriques ; elle ne doit s’en prendre qu’à soi, si elle se voit supplanter par d’autres écoles plus entreprenantes. Ce sont là des vérités qu’il faut se dire à soi-même, si on ne veut pas se les faire dire par d’autres d’une manière plus désagréable qu’on ne le désirerait.


PAUL JANET.