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Il faut à la vertu un type vivant et réel, Jésus-Christ suivant les chrétiens, Dieu suivant les platoniciens ; mais ira-t-on pour cela jusqu’à confondre le stoïcisme avec l’épicurisme, et, parce qu’il poursuit une vaine perfection, l’assimiler à ceux qui nient toute perfection ? En un mot, le stoïcien, si creuse que soit sa vertu, ne peut être rabaissé au niveau de ce troupeau vulgaire qui n’a d’autre ciel que les sens, et d’autre mesure du bien et du beau que la jouissance et le désir.

Ce qui est vrai en morale me paraît également vrai en théodicée, et si je raisonne d’une manière analogue, je ne craindrai pas de dire à M. Vacherot : « Votre idéal divin est un rêve ; c’est un fantôme qui n’a pas de corps, c’est une abstraction dont rien ne garantit la solidité. » Je ne lui dirai pas cependant : « Vous êtes un athée, » non-seulement par politesse, mais encore par équité. On prétend que l’idéal ne suffit pas à distinguer une doctrine d’une autre, car quel philosophe n’admet pas un certain idéal ? Je réponds : « Où est l’idéal d’Epicure (je ne parle pas de Lucrèce, qui est un poète) ? Où est l’idéal de Lucien, de Lamettrie, de d’Holbach, de Naigeon, c’est-à-dire des vrais athées ? » M. Vacherot, quoi qu’il fasse, sera toujours un platonicien. Sans doute, son platonisme a passé par la critique de Kant, et en traversant ce crible redoutable, il est devenu l’ombre de lui-même. Je le regrette ; mais partout où je reconnais les vestiges du divin Platon, je reconnais aussi une âme poétique, religieuse, amie du beau éternel, d’une race profondément différente de la race des athées.

M. Vacherot consent si peu à être confondu avec les athées, qu’il conserve la théodicée au rang des sciences philosophiques, et la place même en première ligne. Il la distingue de la métaphysique. La métaphysique a pour objet l’être infini, et la théodicée l’être parfait. La métaphysique a un objet réel, la théodicée un objet idéal. La métaphysique a pour objet la cause efficiente, et la théodicée la cause finale. On demandera comment on peut faire la science d’un objet qui n’existe pas. M. Vacherot répond en demandant à son tour si l’objet de la géométrie existe réellement, s’il y a quelque part dans l’univers de pures surfaces, de pures lignes, de purs points, s’il y a des cercles parfaits, des triangles inscrits ou circonscrits, si ce ne sont pas là de purs idéaux. Et cependant quelle science plus solide et plus certaine que la géométrie ? On peut donc faire la science d’un objet qui n’existe pas, et cette science, loin d’être inférieure aux autres, leur sert au contraire de règle et de loi. De même ne puis-je pas concevoir par abstraction un être dégagé des conditions imparfaites qui accompagnent partout l’existence, l’espace, le temps, la division, le mal et l’erreur ? Je conçois ainsi un pur idéal, dont je