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deux idées sont profondément distinctes et appartiennent à deux ordres différens. La première est en effet le produit immédiat de la raison pure : nous ne pouvons penser le fini sans penser l’infini, le contingent sans le nécessaire, le relatif sans l’absolu ; mais nous pouvons percevoir l’imparfait sans affirmer nécessairement l’être parfait. Ici nous n’avons plus à faire qu’à un type, à un idéal, dont notre pensée sans doute a besoin comme d’une règle, mais dont nous ne devons pas affirmer la réalité.

Si l’on se demande sur quoi M. Vacherot se fonde pour séparer deux ordres de notions, jusqu’ici inséparables, — l’être, l’infini, le nécessaire d’une part, de l’autre le parfait et le bien, — on le comprendra, je crois, pour peu qu’on réfléchisse qu’il nous est impossible de ne pas concevoir et affirmer un premier principe existant par soi-même, mais que rien ne nous assure à priori que cet être soit parfait. L’humanité a toujours affirmé un principe des choses, et par là même quelque chose de nécessaire et d’infini ; mais elle n’a pas toujours affirmé que ce principe des choses fût bon et parfait. La perfection à l’origine des choses a besoin d’être démontrée ; la nécessité et l’infini n’en ont pas besoin. Puisque quelque chose existe, il faut bien que quelque chose ait existé de toute éternité et par conséquent d’une manière nécessaire : le contraire est absurde et impossible ; mais il n’y a rien d’absurde à admettre, au moins avant démonstration, que l’idéal absolu n’existe pas réellement en dehors de notre pensée.

La dialectique de Platon, qui ramenait chaque classe d’êtres à un type absolu, et qui admettait l’homme en soi, l’animal en soi, le feu en soi, modèles éternels et parfaits des réalités imparfaites, a été convaincue par Aristote de prendre des abstractions pour des réalités. Qui a jamais compris l’existence d’un animal en général qui ne serait pas un certain animal en particulier ? Et s’il est un tel animal, comment pourrait-il être parfait ? Tout individu peut toujours être supposé plus parfait qu’il n’est. Les types et les idées de Platon sont donc de pures illusions, si toutefois on veut les réaliser quelque part en dehors de la pensée ; ils ne sont vrais que comme lois de la pensée et de l’esprit. Eh bien ! ce qui est vrai de chacun de ces types en particulier, de chacune de ces idées, doit l’être également du type des types, de l’idée des idées, en un mot du dernier type et de la dernière idée, terme de la méthode dialectique. De même que l’archétype de l’homme n’est qu’une abstraction, de même l’archétype de l’être n’est qu’une abstraction. Si l’on entend par là l’être en général, il ne peut pas exister plus que l’homme en général, l’animal en général. S’agit-il au contraire d’un individu, ce n’est plus alors l’être infini et absolu : c’est un certain être, c’est-à-