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Entre la location des terres irrigables et des terres sèches, la différence des prix variait de 65 à 120 francs l’hectare, et partout où existaient des usagers les redevances pour le service des eaux excédaient le prix de 40 francs. La combinaison était donc aussi séduisante que solide ; elle a échoué pourtant. Les deux mémoires de M. Aucour dorment dans les cartons administratifs, où s’engloutissent tous les projets qui n’ont pas le don de plaire, Il en est toujours ainsi quand on s’adresse à un corps moral. Quels que soient le nom et les attributs, état, province, commune, ces corps n’ont guère qu’une force à leur usage, la force d’inertie. Les bénéfices démontrés les touchent peu dès qu’il s’agit de sortir de leur cadre régulier. Ils se contentent de ce qu’ils sont, vivent de ce qu’ils ont, et ne prêtent pas toujours une suffisante attention aux conseils d’hommes expérimentés.

Les calculs de M. Aucour n’en subsistent pas moins dans toute leur énergie. Un service des eaux bien conçu, bien dirigé, peut, eu Algérie, par les revenus qui y sont inhérens, couvrir sa dépense d’exécution et reconstituer son capital au bout de quelques années. C’est là assurément une belle spéculation, et si l’état et la commune la dédaignent, que ne l’abandonnent-ils de bonne grâce à l’industrie privée ? Il existe de par le monde assez de compagnies qui remuent l’argent d’autrui à l’aventure pour supposer que l’une d’elles, bien inspirée, éprouvât le désir de fixer une partie au moins de son capital sur une œuvre qui lui vaudrait autant d’honneur que de profit. Les affaires de ce genre ne sont pas communes, et si celle-ci était sincèrement offerte, nui doute qu’elle ne fût sérieusement acceptée. Une société libre qui prendrait à elle seule ou plusieurs sociétés qui se partageraient les travaux hydrauliques de l’Algérie feraient plus pour la production du coton que la plus généreuse distribution des terres domaniales. L’une de ces opérations doit précéder l’autre comme la cause précède l’effet. Dans l’adjudication des plaines de l’Habra, on les a confondues ; c’est une faute : elles ne s’excluent pas sans doute, mais elles ne sont pas identiques. N’en former qu’un bloc, c’était écarter les prétendans qui, à leur tâche d’agriculteurs, ne pouvaient pas ou ne voulaient pas ajouter celle d’ingénieurs, et par suite réduire à quelques unités d’élite le nombre de ceux qui devraient se présenter aux enchères. C’était en outre méconnaître le principe le plus actif de l’industrie, la division du travail. L’aménagement des eaux est par lui-même une entreprise assez considérable pour qu’on n’y ajoute pas d’autres élémens, une autre responsabilité. De la distribution des eaux naissent des litiges de jouissance qui s’aggraveraient par une confusion de droits et de pouvoirs. Ces débits à régler, ces vannes qui s’ouvrent et se ferment,