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de l’Oued-Fergoug, à 8 kilomètres en amont d’un petit village que l’on nomme Perregaux. Les plans de l’ingénieur en portaient la hauteur totale à 31 mètres. Afin de réserver un espace suffisant pour les atterrissemens, l’élévation entre le réservoir et la prise d’eau n’était que de 16 mètres, suffisante pour un volume de 30 millions de mètres cubes sur une surface de 250 hectares. En évaluant à environ 3 milliards 910 millions de mètres l’eau à utiliser dans le courant d’une année, le bassin pouvait être rempli plusieurs fois, de manière à fournir en tout temps et par toutes les saisons un service régulier. Comme travaux de préparation, on creusait dans les marécages de la plaine des canaux qui auraient servi d’abord, pour l’écoulement des eaux stagnantes, ensuite pour l’irrigation au moyen d’eaux vives. Un autre canal, longeant la base des montagnes au-dessus du lit actuel de l’Habra, aurait porté la fécondité dans le territoire de Perregaux. Le tracé de ce canal secondaire avait été fait ; la dépense n’excédait pas 200,000 francs ; les pentes, assez rapides, permettaient l’établissement de chutes qui eussent animé des moulins et des usines. C’était pour Perregaux un bienfait depuis longtemps promis et constamment ajourné. Rien de plus intéressant que ce petit village. Créé il y a six ans sur des terres cédées par le domaine à titre gratuit, à la seule condition de bâtir, il est peuplé en grande partie d’Espagnols qui vivent de peu, supportent bien le climat et se contentent de modestes abris. Nulle race n’est plus laborieuse, plus propre aux travaux que le pays comporte. Un seul élément fait défaut à ce centre rural, c’est l’eau : on l’a voué au supplice de Tantale. Situé sur un plateau à 100 mètres au-dessus de l’Habra, qui serpente à ses pieds dans une forêt de tamarins, il n’a pour s’abreuver qu’un puits saumâtre creusé à 25 mètres de profondeur. Dans la zone voisine et à portée du regard, les tribus des Ferragas, des Cherabras, des Bordjias, ont des terres en pleine culture, sillonnées de rigoles, couvertes de moissons. Plus près encore, le village de l’Habra, assis sur la berge du cours d’eau, peut y puiser pour ses besoins, et l’a mis en partie au service de quelques irrigations. Un travail rudimentaire y a suffi. Le gouvernement s’y était engagé dans une vente de 12,000 hectares de terres domaniales situés sur les bords de la rivière. On a simplement barré le lit de l’Habra et créé ainsi un réservoir d’alimentation qui arrose des terrains où le coton prospère. Contraste singulier ! le village de l’Habra se plaint des inondations, et souvent les cultures en souffrent, tandis que Perregaux, sur sa hauteur, n’a pas même de quoi étancher sa soif. N’est-ce pas là un témoignage frappant de la nécessité d’une meilleure distribution qui donnerait aux uns ce qui leur manque et soulagerait les autres de ce qu’ils ont en excès ?