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si l’eau manque à chaque pas que l’on fait dans l’intérieur, nourrir un million d’habitans et élever vingt millions de têtes de bétail ? La réponse est facile, et la contradiction n’est qu’apparente. Les explorateurs ne nous font connaître que les mauvaises parties du territoire. Dans les districts fertiles, on n’avait pas besoin d’eux, ou bien leurs pérégrinations n’eurent rien de pathétique ni d’émouvant. Telle fut la longue promenade que Leichhardt accomplit en 1844 à travers la région du nord-est. Des montagnes d’une hauteur médiocre qui n’offrent pas des escarpemens inaccessibles comme les alpes australiennes de la Nouvelle-Galles du sud, de vastes plateaux assez élevés au-dessus du niveau de la mer pour n’avoir pas l’aridité des plaines, de frais ruisseaux au fond de chaque vallée, une brise délicieuse qui modère les chaleurs du tropique, un sol d’alluvion où les plantes des climats chauds croissent sans culture et les productions des pays tempérés s’acclimatent sans peine, tout ce qui peut favoriser la colonisation se trouve réuni dans ce coin du continent. La Terre de Gipps, dans la province de Victoria, située à l’est de Melbourne, entre les Alpes et l’Océan, n’est pas moins bien partagée, quoique sous un climat plus tempéré. La végétation y a une apparence luxuriante, et de belles rivières, navigables jusqu’à cent ou deux cents kilomètres de leur embouchure, porteront bientôt des bateaux à vapeur qui viendront prendre les produits du sol. Sur la côte septentrionale, le capitaine Stokes donnait le nom de Terre promise aux plantes qu’il venait de découvrir au fond du golfe de Carpentarie. Cette réunion bizarre de terres fertiles et de terres stériles assez rapprochées les unes des autres est un des caractères saillans de la nature australienne. Ce fut un encouragement pour les colons à pénétrer plus avant. Au-delà des déserts de sable, on espérait toujours trouver l’eau, la végétation et la vie.


II

Vers l’année 1860, ce que l’on connaissait du régime fluvial de l’Australie et les explorations dirigées le long de cet immense et stérile cours d’eau qui, sous le nom de Rivière-Victoria, Rivière-Cooper, traverse obliquement le continent, avaient sans doute ébranlé la croyance à une mer centrale ; mais l’intérieur était encore fermé, et les tentatives désespérées de Sturt faisaient croire qu’il serait à jamais impossible de passer d’une mer à l’autre. L’opinion la plus répandue et certainement la plus probable à cette époque, d’après les résultats antérieurs, considérait la région centrale comme un steppe, sans eau et sans verdure. Cette énigme géographique, en apparence insoluble, allait être résolue, en l’espace de quelques mois, par plusieurs explorateurs et par diverses voies.