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celui de Tournai, ne fut qu’une affaire de quatre jours. Douai ne tint pas davantage ; mais Vauban eut le temps d’y recevoir à la joue gauche un coup de feu dont il porta toute sa vie la marque. Il n’y eut de sérieux que le siège de Lille, encore ne dura-t-il pas plus de dix-huit jours. S’il ne se prolongea pas davantage, ce n’est pas que la place fût mauvaise, ni le gouverneur malhabile, ni la garnison faible ou découragée ; c’est que l’attaque fut bien choisie et parfaitement conduite. Louis XIV n’attendit pas à reconnaître le bon service de son ingénieur ; il lui donna sur sa cassette une pension de deux mille quatre cents livres, et lui fit cadeau d’une lieutenance aux gardes, avec permission de vendre sa compagnie de Picardie, qu’il avait eue aussi, comme on l’a vu, à titre gratuit. Voilà donc Vauban en possession de cette lieutenance que Mazarin lui avait promise neuf années auparavant. S’il n’était pas même d’emblée capitaine aux gardes, c’est que par malheur il ne se trouvait point de compagnie vacante ; c’est au moins ce que M. Le Tellier lui dit de la part du roi en le « gracieusant » fort pour sa part.

Ces complimens de M. Le Tellier, auxquels Louvois ne manqua pas de joindre les siens, touchèrent d’autant plus Vauban que ses rapports avec Colbert devenaient moins agréables. L’intendant d’Alsace lui était chaque jour plus hostile, et l’entrepreneur de Brisach ne faisait qu’ajouter à ses mauvais tours. Vauban fut accusé jusqu’auprès du roi de faire traîner les ouvrages et d’outrer la dépense. Colbert avait eu le malheur de se laisser indisposer contre lui ; Louvois, qui cherchait un bon ingénieur, saisit l’occasion, attira Vauban, le défendit, l’encouragea, et lui donna tout de suite lieu de confondre par une magnifique épreuve l’erreur ou la mauvaise foi de ses accusateurs.

Louis XIV voulait faire construire une citadelle à Lille ; Louvois, qui tenait dans son département les places nouvellement conquises, avait résolu de confier à Vauban la direction de ce grand travail. Vauban avait trouvé son protecteur et sa voie ; comme les apprentis d’autrefois qui voulaient passer maîtres, il allait, après une dernière lutte, pouvoir faire son chef-d’œuvre.


III

« Point d’ingénieur parfait, a dit Vauban, parce qu’il faut être à la fois charpentier, maçon, architecte, peintre, orateur, politique, soldat et bon officier, et surtout avoir bon cœur, bon esprit et une longue expérience[1]. » Ne faut-il pas être géomètre aussi ? Vauban

  1. Pensées diverses sur différens sujets.