Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses camarades déjà pris et lui tout près de l’être, il trouva moyen de se jeter dans un chemin creux, et quand les royaux qui le poursuivaient s’y furent engagés à la file, tout à coup il tourna la tête, les arrêta court, et, tenant en joue leur chef, qui était un lieutenant du régiment de Sainte-Maure, il fit sa capitulation, à savoir qu’il ne serait ni maltraité, ni dépouillé, ni même démonté, de sorte qu’il entra dans le camp royal, à cheval, en complet équipage, et avec tous les honneurs de la guerre. L’aventure fit du bruit : on sut bientôt que ce cavalier si avisé n’était autre que le hardi nageur de Sainte-Menehould. Spirituel et brave, un soldat a deux fois sa réputation faite. Rien n’échappait à Mazarin : informé que le jeune prisonnier avait quelque intelligence de la fortification, il se le fit amener. Réveiller et irriter le sentiment de l’honneur national dans une âme que la compagnie des Espagnols avait déjà mise en alarme, ce n’était pas une affaire pour un diplomate comme M. le cardinal ; cependant il voulut s’en charger lui-même, et il y prit apparemment quelque plaisir. Le jeune homme « dûment confessé et converti, » le mot est de Vauban, Mazarin lui donna pour pénitence de travailler à reprendre sur le prince de Condé cette même place de Sainte-Menehould qu’il avait contribué à lui gagner naguère. Et en effet, à un an de distance, presque jour pour jour, Vauban reparut devant Sainte-Menehould, dans l’armée royale cette fois, et sous les ordres du chevalier de Clerville, qui passait pour être le premier ingénieur de ce temps-là. Ce second siège achevé, Vauban, qui était devenu, suivant son expression, « diacre de M. de Clerville, » fut chargé de réparer les défenses de cette petite et mauvaise place.

Louis XIV et Mazarin avaient assisté au siège. Satisfait du zèle et frappé de l’intelligence de son néophyte, le cardinal lui fit donner par le roi quelque argent, avec une lieutenance au régiment de Bourgogne-infanterie. C’était, à vrai dire, un lambeau de régiment, la plupart des compagnies attachées à M. le Prince l’ayant suivi dans la révolte. Y appeler Vauban, qui venait de faire sa soumission, était d’un bon exemple ; beaucoup de ses camarades, comme lui rebelles involontaires et mécontens d’une guerre qui n’était plus une querelle en famille, devaient, comme lui, rentrer dans le devoir par les brèches de ce même régiment de Bourgogne, destiné à devenir le régiment des repentis.

La campagne de 1654 réunit un moment Fabert à la fin de sa carrière et Vauban au début de la sienne ; ces deux noms-là vont bien ensemble. Fabert commandait l’armée qui assiégea Stenai, et Vauban y servit d’ingénieur sous le chevalier de Clerville. Dès le neuvième jour du siège, il fut blessé assez grièvement, et il n’était pas remis de sa blessure lorsqu’il fut encore atteint d’un coup de