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bien que l’orphelin payât de quelque façon l’hospitalité qu’il recevait. Il soignait le cheval, il travaillait au jardin, parfois même il aidait à la cuisine. C’est ainsi que, de dix à quatorze ans, Vauban a gagné son pain de chaque jour. « A chose égale, disait le marquis d’Ussé, son petit-fils, il y a d’autant plus de mérite à mon grand-père d’avoir été un homme extraordinaire qu’il est parti de plus loin qu’un autre. » C’est par le seul marquis d’Ussé que ces détails sont arrivés jusqu’à nous : il aurait pu les supprimer comme indignes ; rendons-lui cet hommage, il s’est montré, en n’en rougissant pas, le vrai petit-fils de Vauban.

La misère n’agit pas sur le gentilhomme pauvre comme sur les paysans morvandeaux ; elle ne le rendit « ni faible, ni fainéant, ni découragé ; » elle fit de cet enfant un homme, un grand homme de bien. Il sortit de ses étreintes précoce d’esprit, vigoureusement trempé de corps et d’âme, rude à lui-même et compatissant aux autres. En lui donnant le vivre et le couvert, le curé de Saint-Léger lui avait enseigné, par la plus belle et la plus simple des leçons, la charité chrétienne. Vauban n’y fut pas infidèle ; sa vie se passa tout entière à pratiquer l’enseignement qu’il avait reçu. Après l’éducation religieuse et morale, le bon prêtre voulut communiquer à son pupille tout ce qu’il avait de science humaine. À Paris, c’eût été peu de chose, c’était beaucoup en Morvan : la lecture, l’écriture, un peu de grammaire, point de lettres, quelques notions d’arithmétique et la pratique de l’arpentage. Mesurer les angles et les côtés d’un champ, c’est déjà faire une application de la géométrie ; l’élève y prit goût, laissa son instituteur en arrière, marcha tout seul, armé de quelque livre, et de l’arpentage poussa d’instinct jusqu’aux principes de la fortification. Il avait dix-sept ans. Un matin, dans les premiers jours de l’année 1651, il quitta son village, traversa de pied la Bourgogne et la Champagne, et vint retrouver, sur la frontière des Pays-Bas, le capitaine d’Arcenay, un gentilhomme de son voisinage qui avait une compagnie dans le régiment de Condé. Le capitaine lui fit bon accueil, lui mit un mousquet sur l’épaule et l’enrôla parmi ses fantassins. En entrant au service, le jeune Le Prestre avait pris le nom seigneurial de sa famille ; désormais il s’appellera Vauban.

Rencontrer un cadet « ayant une assez bonne teinture des mathématiques et des fortifications, et ne dessinant d’ailleurs pas mal[1], » ce n’était pas chose commune. Quand il s’en trouvait quelqu’un de cette sorte, on le mettait tout de suite à la pratique,

  1. Ce sont les propres expressions de Vauban. — Abrégé des services du maréchal de Vauban, écrit de sa main le 16 mars 1705, publié, en 1839 par le colonel Augoyat.