Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/674

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Il était né, c’est lui-même qui l’a dit, le plus pauvre gentilhomme de France. Sa famille, du nom de Le Prestre, sur les confins de la noblesse et la roture, était d’origine nivernaise. Elle possédait, depuis les premières années du XVIe siècle, la petite seigneurie de Vauban, dans la paroisse de Bazoches en Morvan nivernais ; deux ou trois de ses membres avaient eu l’honneur de figurer dans l’arrière-ban du duché de Nevers. La généalogie de Vauban ne remonte pas au-delà de son bisaïeul Émery Le Prestre. Jacques, son grand-père, eut quatre fils ; le second, nommé Albin ou Urbain[1], se maria dans l’année 1630, et vers le même temps fit, avec ses trois frères, le partage de la succession paternelle. Il faut croire que sa part d’héritage, non plus que la dot de sa femme, n’était pas considérable, ou bien qu’il avait promptement dissipé l’une et l’autre, car on le retrouve, moins de trois ans après, réduit à une condition qui n’était même plus celle d’un petit bourgeois. La maison qu’il habitait alors, dans le village de Saint-Léger-de-Foucheret[2], en Morvan bourguignon, si c’est bien la même qu’on montre aujourd’hui, était une maison de paysan, composée d’une seule chambre, d’une grange et d’une écurie, sous une couverture de chaume. C’est dans ce taudis que la tradition fait naître un enfant qui fut baptisé, le 15 mai 1633, dans l’humble église de Saint-Léger, sous le nom de Sébastien Le Prestre, et dont le mausolée placé sous le dôme des Invalides, en face du mausolée de Turenne, porte le grand nom de Vauban.

Comparée à la détresse qui suivit, la gêne dans laquelle il était né pouvait passer pour une espèce de fortune. Avant l’âge de dix ans, tout lui manqua : plus de père, plus de mère, plus de foyer domestique, plus rien. Il avait des proches ; on doit supposer, pour leur honneur, qu’ils le crurent mort lui-même[3]. Ce fut le curé de son village qui le recueillit. Le bon prêtre était pauvre ; il fallut

  1. L’acte de baptême de Vauban donne à son père le nom d’Albin, et à sa mère ceux d’Edmée Corminolt. Les généalogies portent Urbain Le Prestre et dame Aimée de Carmignolles.
  2. Saint-Léger-de-Foucheret faisait partie du bailliage de Saulieu et dépendait du diocèse d’Autun. C’est aujourd’hui une commune du canton de Quarré-les-Tombes, arrondissement d’Avallon, département de l’Yonne.
  3. Il faut remarquer, à la décharge de la branche aînée, que son oncle Paul Le Prestre était mort en 1635, et que la veuve de cet oncle était entrée, par un second mariage, dans une famille étrangère. Les fils de Paul Le Prestre étaient, quand Vauban devint orphelin, des enfans beaucoup trop jeunes pour qu’on puisse leur reprocher l’abandon de leur cousin.