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Quand on demande aux gens du pays ce que c’est que le Morvan, ils répondent : C’est la terre où le froment vient mal. « De la terrasse de Vezelay, des collines de Domecy et de Taroiseau, et de tous les points élevés des environs d’Avallon, on voit se dessiner au midi les masses granitiques du Morvan, presque entièrement couvertes de forêts. Ce sont des dômes surbaissés, plus ou moins irréguliers, mais toujours arrondis. La terre formée par la destruction du granité, en général très légère, est connue sous le nom de terre de bruyère. On, ne peut la fertiliser qu’en lui donnant beaucoup d’engrais : légère et friable, le froid la soulève et déracine les plantes que l’on y sème. On ne cultive le même sol que tous les dix ans, après avoir essayé de le féconder en faisant brûler les fougères, les ajoncs épineux et les genêts, qui y croissent rapidement. Le seigle, le blé sarrasin, les pois, les pommes de terre, sont les seules plantes utiles à l’homme qui puissent y réussir dans l’état actuel de la culture. On y voit cependant çà et là quelques champs de blé et d’avoine ; mais la paille est grêle, et les épis clair-semés ne portent que des grains rares et petits. Les chênes et les hêtres y deviennent vigoureux ; le châtaignier y prospère presque partout, mais principalement sur les pentes des coteaux, car les sommets sont en général nus et stériles[1]. »

Voilà le langage précis de la science moderne ; voici, par comparaison, les notes d’un observateur qui a décrit vers la fin du XVIIe siècle la partie septentrionale du Morvan.


« C’est un terroir aréneux et pierreux, en partie couvert de bois, genêts, ronces, fougères et autres méchantes épines, où on ne laboure les terres que de six à sept ans l’un ; encore ne rapportent-elles que du seigle, de l’avoine et du blé noir, pour environ la moitié de l’année de leurs habitans, qui, sans la nourriture du bétail, le flottage et la coupe des bois, auraient beaucoup de peine à subsister. Le pays est partout bossillé, fort entrecoupé de fontaines, ruisseaux et rivières, mais tous petits, comme étant près de leurs sources. Il y auroit assez de gibier et de venaison, si les loups et les renards, dont le pays est plein, ne les diminuoient considérablement, aussi bien que les paysans, qui sont presque tous chasseurs, directement ou indirectement. Les mêmes loups font encore un tort considérable aux bestiaux, dont ils blessent, tuent et mangent une grande quantité tous les ans, sans qu’il soit guère possible d’y remédier à cause de la grande étendue des bois dont le pays est presque à demi couvert. Le pays est en général mauvais, bien qu’il y ait partout de toutes choses un peu ; l’air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre quand ils sont une fois dépaysés ; mais les terres y sont très mal cultivées, les habitans lâches et paresseux jusqu’à ne pas se donner la peine d’ôter

  1. Explication de la carte géologique de la France, par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, t. Ier, p. 112, et t. II, p. 279.