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est une arme non moins puissante que la chaire, mais on l’emploie surtout pour agir sur les femmes. Comme, malgré leur activité inouïe et leur infatigable dévouement, les prêtres ordinaires des paroisses ne peuvent suffire à toutes les courses, à tous les soins de la croisade, les séminaires leur envoient un nombreux renfort de jeunes missionnaires qui apportent à l’œuvre commune les ardeurs et les violences de leur âge. Ils vont visiter les électeurs, ils s’efforcent de les entraîner, et s’il en est qui résistent, ils s’adressent à leur femme, à leurs filles, ils montrent à celles-ci l’église irritée refusant au malheureux qui lui désobéit ses secours, ses sacremens, ses dernières consolations, son cimetière béni, et comme dernier coup ils affirment qu’il perdra sa clientèle et son âme, son repos dans cette vie et sa félicité éternelle dans l’autre. Cela semble ne pas suffire encore : dans ces derniers temps, à côté de la milice ecclésiastique, des laïques zélés ont formé, sous l’invocation du nom de saint Vincent de Paul, une formidable association qui comptait déjà en 1863 422 conférences et 11,956 membres. Mêlant la politique à la charité, faisant en même temps des aumônes et de la propagande électorale, ils recrutent des adhérens dans toutes les classes et s’assurent des votes en invoquant tour à tour l’ambition, l’intérêt et la crainte. Le jour de l’élection, le curé conduit au scrutin ses ouailles fidèles, et il surveille si bien son troupeau que nul ne manque à l’appel. Le sentiment religieux est un levier incomparable pour soulever les masses. On s’en est servi pour remplir les cadres d’une organisation toute militaire, et l’on est parvenu à réunir ainsi au service de la bonne cause deux vertus qui souvent s’excluent, l’enthousiasme et l’obéissance.

Les moyens d’action du clergé sont immenses : 3,000 chaires, 6,000 confessionnaux, 15,000 religieux, 100,000 membres de congrégations laïques, une foule de journaux, répandent partout ses idées, ses vœux, ses passions. L’enseignement est presque entièrement entre ses mains. Indépendamment des écoles primaires de l’état, qui sont comme les siennes, il a encore celles des couvens, qui sont presque aussi nombreuses. Pour l’instruction moyenne, il a deux fois autant d’établissemens que les pouvoirs civils, et l’éducation des jeunes filles est complètement accaparée par les communautés religieuses. Ainsi il forme sans partage la femme, le peuple, l’aristocratie et même une partie de la bourgeoisie. Par la confiance qu’il inspire aux mères de famille, il dispose des dots opulentes, et les plus riches mariages se concluent par son entremise. Les ressources financières que la piété et la reconnaissance mettent à sa disposition sont énormes. C’est à lui que les âmes troublées, la vieillesse, la douleur, viennent demander un appui et des conseils. Il tient ceux même qui lui sont hostiles par tous les actes solennels