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comme seuls biens du défunt son froc ou son bréviaire, et ils font serment qu’ils ne lui connaissent pas d’autres propriétés, ce qui est vrai, puisque le couvent vient d’hériter de toutes celles qu’il possédait. On a prévu aussi des cas difficiles, douteux, et pour y aviser un conseil se réunit périodiquement à l’évêché[1]. Composé de chanoines et d’hommes de loi habiles et discrets, il a pour unique mission de trouver les meilleurs moyens d’éluder la loi. Le régime nouveau présente d’ailleurs pour l’accroissement des richesses des communautés plusieurs avantages que leur refusait l’ancien régime. Elle sont complètement soustraites à la surveillance de l’autorité ; elles n’ont pas besoin d’autorisation pour acquérir ; les placemens mobiliers leur forment une fortune invisible, insaisissable et d’un très grand rapport ; enfin, tandis qu’autrefois celui qui entrait en religion renonçait à l’héritage de la famille en vertu de cet axiome juridique : « religieux ne succèdent ni le monastère pour eux, » aujourd’hui il vient prendre sa part pour la verser dans la caisse du couvent, qui hérite partout et toujours, et dont nul n’hérite plus.

Mais ces avantages si considérables n’ont point paru suffisans au parti catholique. Il veut restituer la personnification civile aux communautés soit directement, soit par une voie détournée, afin qu’elles puissent joindre aux avantages du droit commun ceux du privilège. Déjà, en 1830, l’archevêque de Malines demandait au congrès qu’il voulût bien « assurer aux associations des facultés pour acquérir ce qui est nécessaire à leur existence. » En 1857, une loi fut présentée qui aurait satisfait à ce vœu ; mais elle souleva dans tout le pays une appréhension et une opposition si vives qu’elle fut retirée. Enfin, en 1863, le président du congrès de Malines, M. de Gerlache, le premier magistrat du royaume et l’un des hommes les plus considérables de son parti, donnait comme mot d’ordre à ce grand concile laïque cette parole de défi : « Oui, il nous faut des couvens ! »

La question de l’enseignement est plus importante encore. Les auteurs de la constitution belge, convaincus que sans l’intervention des pouvoirs publics, état ou commune, l’enseignement serait détestable,

  1. Une circulaire secrète de l’évêque de Gand est tombée dans la publicité lors d’un procès récent au sujet d’un couvent, et chacun a pu connaître ainsi les recommandations très curieuses faites par l’évêque à tous les directeurs de maison religieuse. « Examinez soigneusement, dit-il, si la mort d’un des membres de la communauté ne pourrait pas entraîner des suites fâcheuses, des tracasseries de la part des héritiers, légaux, des poursuites de la part des employés de l’état, des procès qui compromettent la stabilité d’une maison. Si l’on croit avoir prévenu ces dangers par des testamens, il faut qu’on soit bien assuré par un jurisconsulte habile que rien ne manque à ces actes, surtout s’ils sont olographes. Si quelque doute s’offre à votre esprit, exposez-les, et la commission, après mûr examen, vous indiquera les moyens que présentent les lois pour éviter de grands dommages. » Instructions du 12 avril 1858.