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essentielle que celle des ténèbres et de la lumière ? Il est nécessaire de citer les paroles mêmes qu’il a prononcées dans l’allocution du 18 mars 1861, parce qu’elles tranchent le débat :


« Déjà depuis longtemps nous voyons, vénérables frères, par quelle déplorable lutte née de l’incompatibilité des principes entre la vérité et l’erreur, entre la vertu et le vice, entre la lumière et les ténèbres, la société civile, en nos temps malheureux, est plus que jamais jetée dans le trouble. Les uns soutiennent certains principes qu’ils appellent les principes de la civilisation moderne, les autres défendent les droits de la justice et de notre sainte religion. Les premiers demandent que le pontife romain se réconcilie et fasse alliance avec ce qu’ils nomment le progrès, le libéralisme, la civilisation moderne ; les seconds réclament à bon droit pour que les principes immuables de l’éternelle justice. soient gardés inviolables dans leur intégrité… Mais cette opposition, les patrons de la civilisation moderne ne l’admettent pas, car ils affirment qu’ils sont les amis vrais et sincères de la religion. Quant à ceux qui nous invitent, pour le bien de la religion, à tendre la main à la civilisation moderne, nous leur demanderons si, en présence des faits dont nous sommes témoins, celui que le Christ a divinement constitué son vicaire sur la terre pour maintenir la pureté de sa doctrine pourrait, sans gravement blesser sa conscience, sans devenir pour tous un objet de scandale, faire alliance avec cette civilisation moderne d’où viennent tant de maux déplorables, tant de détestables opinions, tant d’erreurs et tant de principes absolument contraires à la religion catholique et à sa doctrine ? Cette civilisation, qui va jusqu’à favoriser des cultes non catholiques, qui n’écarte même pas les infidèles des emplois publics, et qui ouvre les écoles catholiques à leurs enfans, se déchaîne d’autre part contre les instituts fondés pour diriger les écoles catholiques, contre les communautés religieuses. »


Pie IX, en condamnant ainsi la liberté de penser, l’égalité des cultes et les bases mêmes des constitutions contemporaines, ne fait que répéter ce que disait Bossuet : « Le prince doit employer son autorité pour détruire dans son état les fausses religions. Ceux qui ne veulent pas que le prince use de rigueur en matière de religion, parce que la religion doit être libre, sont dans une erreur impie. »

Supposons maintenant que les vœux du parti catholique soient remplis : le parlement ne renferme plus que des membres nommés par l’influence du clergé et disposés par conséquent à accomplir ses volontés ; toute opposition a disparu, l’église triomphe. Quelles seront alors les institutions données au pays, et quelle part y sera faite à la liberté ? Évidemment on rétablira ce qu’on appelle à Rome le régime de l’état chrétien ; la liberté du bien sera absolue, la liberté du. mal nulle, et le moyen-âge renaîtra. Les journaux catholiques l’avouent avec la plus louable franchise[1], la constitution

  1. Parmi ces feuilles, il faut citer le Bien public, qui parait a Gand sous le haut patronage de l’évêché. L’autorité de ce journal est grande, car il a été honoré récemment, chose bien rare, de l’approbation complète du souverain pontife. Portant en tête la croix du labarum, il expose avec une intrépidité que rien n’arrête les doctrines défendues a Rome par la Civillà cattolica et contenues dans les encycliques du Vatican. Si l’on veut se faire une idée de la situation des partis en Belgique, il est indispensable de consulter la collection du Bien public de 1852 à 1864. Il est rédigé avec une piété ardente et un véritable talent.