Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les délégués des associations. Le roi Léopold se garda bien de suivre ce conseil ; il respecta la liberté. Un an après, l’un des orateurs les plus marquans et les plus hardis de cette assemblée qui avait causé tant d’alarmes entrait dans le ministère nouveau qui guida la Belgique à travers les écueils que les révolutions européennes semèrent sur sa route, et depuis lors la liberté, cette Mélusine du monde politique, a bien récompensé le roi et la nation de la confiance qu’ils ont eue en elle.

La seconde cause qui explique le succès de la constitution de 1831, c’est que jusqu’à présent les deux partis qui se disputent le gouvernement ont su tour à tour être minorité[1]. Or c’est à cette condition seule que le régime parlementaire peut durer. Il faut que la minorité accepte sa défaite, en recherche la raison et se prépare à prendre sa revanche en se faisant l’organe des vœux de la nation et l’interprète de ses véritables besoins. Si elle garde rancune et s’abstient, elle se suicide ; si elle s’insurge, elle tue la liberté et perd le pays. D’ailleurs, chez un peuple vraiment libre, la minorité arrive vite à comprendre sa mission, d’abord parce qu’elle peut user à son gré et sans entraves de tous les moyens qui lui permettent de reconquérir la prépondérance, ensuite parce qu’elle voit que ses adversaires ayant réellement la supériorité numérique, il serait vain et insensé de se soulever contre eux.

La constitution de 1831 ayant produit les heureux résultats qu’on vient d’exposer, il est naturel que le peuple belge s’y soit fortement attaché et lui ait même voué une vénération presque superstitieuse ; mais si, à quelques exceptions près que l’on fera connaître, on respecte généralement les lois fondamentales de l’état, la même unanimité est loin de se retrouver quand il s’agit de tirer de ces principes généraux les conséquences qu’ils renferment. Deux partis se sont formés qui se disputent le pouvoir, non pour s’emparer à l’envi des portefeuilles, comme le dit une vieille calomnie discréditée, mais pour avoir l’honneur d’appliquer leurs idées au gouvernement du pays. Que veulent ces partis ? D’où viennent-ils et quel est leur avenir ? Quelles sont les forces dont ils disposent et les principes qu’ils invoquent ? Ces questions sont d’un intérêt général, car les problèmes qu’on discute en Belgique se retrouvent chez la plupart des autres nations catholiques, en Portugal, en Espagne, en Italie, en France, au Mexique, et en les étudiant en Belgique, c’est-à-dire dans un pays où ils peuvent se débattre en pleine lumière, on aura l’avantage d’en mieux saisir le caractère et la portée.

  1. Il y a cependant une exception à ce fait, mais elle est toute récente. Le parti qui se dit conservateur, impatient d’être en minorité au sein de la chambre des représentai, vient de refuser de siéger plus longtemps, afin d’obliger le ministère à une dissolution immédiate de la chambre, qui lui rendra, espère-t-il, la majorité.