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dans ces énormes palanquins formés d’étoffes aux vives couleurs, garnis de tapis et de coussins, qu’Horace Vernet a popularisés dans son tableau de la Smala.

Nous n’avons point rencontré de tribu entière en voyage. C’est un tableau pittoresque. M. Eugène Fromentin, qui se sert de la plume aussi bien que de la brosse, l’a peint de main de maître[1]. La plupart des chameaux sont chargés de marchandises, de blé, de farine, de dattes, de tabac, de cannes faites avec la nervure moyenne de feuilles de palmier, de quelques étoffes, et d’outrés pleines d’eau. Plusieurs fois nous avons vu des chamelles qui avaient mis bas pendant le voyage porter sur leur dos le petit dromadaire nouveau-né. Plus tard il suivra sa mère comme un poulain, jusqu’à l’âge où il sera assez fort pour être chargé lui-même d’un fardeau. Dans le désert, les chameaux ne marchent pas à la file, mais de front ou sans ordre. Continuellement ils balancent leurs longs cous et broutent les herbes qui sont à leur portée ; aussi, sauf dans le sable, le trajet des caravanes est-il marqué par des sentiers parallèles, souvent au nombre de huit ou dix. Les dromadaires suivent ces sentiers ou en créent d’autres lorsque les plantes sont complètement rongées. Quand nous croisions ces caravanes, nos Arabes échangeaient quelques paroles avec les nomades, puis les deux caravanes, arrêtées pendant quelques instans, s’éloignaient l’une de l’autre comme deux convois de chemin de fer qui se séparent après avoir séjourné quelques instans ensemble à la même station. Il n’est pas rare de rencontrer un Arabe monté sur son chameau, et s’enfonçant tout seul dans le désert. Portant dans un sac sa pâte de dattes sèches, il s’arrêtera le soir près d’un puits qu’il connaît, s’enveloppera dans son burnous et dormira à côté de son dromadaire accroupi. Demandez-lui où il va, il vous répondra ; mais le motif qui lui fait entreprendre son voyage est souvent des plus futiles, savoir des nouvelles, assister à un marché où il n’a rien à vendre et rien à acheter, visiter un marabout ; il voyage pour voyager, il est nomade : errer est son état normal, et dans le Tell, où l’on voit tant d’Arabes sur les chemins et si peu dans les champs, on serait tenté de dire qu’ils obéissent à un besoin de se déplacer, mais ne vont en réalité nulle part.

Dans le Souf, ou désert de sable, les rencontres étaient plus rares, et les caravanes moins nombreuses. Presque toutes se dirigeaient vers Tunis. Nous les rencontrions le plus souvent près des puits creusés de loin en loin entre les dunes, puits peu profonds et munis presque toujours d’un arbre à bascule et d’une auge : ils me

  1. Un Été dans le Sahara, p. 235.