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comme s’il eût été attaché. C’est une habitude des chevaux arabes dont le voyageur sent tout le prix. Souvent nous nous hélions pour nous montrer un objet curieux, les débris d’un œuf d’autruche, une couche géologique, une plante, une coquille nouvelles ; chacun faisait ses remarques, émettait ses doutes : une discussion scientifique s’engageait et se continuait à cheval. Vers dix heures, on faisait halte : c’était presque toujours dans un endroit remarquable, sur un monticule, près d’un puits artésien ou dans une localité intéressante pour le géologue ou le botaniste. On enlevait la bride des chevaux et des mulets, qui broutaient philosophiquement l’herbe ou l’arbuste qu’ils voyaient à leurs pieds. Je ne parlerai pas de ces chevaux une troisième fois sans rendre hommage à toutes les qualités qui les distinguent. Qui n’a pas vu le cheval arabe dans le désert ne peut se faire une idée de la résistance à la fatigue, de la sobriété, de la douceur et de l’intelligence de ces animaux. Passer la nuit en plein air avec le froid ou la pluie après avoir mangé un peu d’orge, brouté les plantes vertes ou sèches qui se trouvent aux environs, boire de l’eau saumâtre ou s’en passer quand il n’y en a pas, marcher tout le jour dans le sable sans que jamais ces jarrets d’acier trahissent la moindre fatigue, sont les qualités ordinaires de ces chevaux. Il y a plus : le soir, après une longue journée, que les Arabes fassent claquer leur langue et les excitent par leurs cris, ils s’élancent pleins d’ardeur, cherchant à se dépasser mutuellement. Ces chevaux si ardens sont néanmoins très dociles ; ils réunissent en un mot toutes les qualités qu’on peut exiger de ce noble animal, supérieurs mille fois à ces coursiers factices, maigres comme Rossinante, et qui, comme elle, galopent une fois dans leur vie, gagnent un prix et ne sont plus bons à rien qu’à orner comme des reliques les boxes d’une écurie en renom. Revenons à notre halte du matin. Un de nos zouaves tirait de son bissac quelques provisions, presque toujours du mouton rôti et des dattes. Le repas ne durait pas longtemps ; chacun prenait ses notes sur les objets vus dans la matinée, et nous repartions. Dans la saison où nous étions en voyage, le désert est animé ; plusieurs fois par jour nous apercevions à l’horizon les chameaux d’une caravane grands comme des moutons. La caravane approchait, les chameaux grandissaient ; ils étaient suivis d’Arabes marchant jambes et pieds nus, couverts de leurs burnous attachés avec une corde roulée autour de la tête, et portant de longs fusils et de vieux sabres. Des femmes avec de petits enfans à la mamelle, des groupes de petits garçons et de petites filles presque nus étaient souvent juchés au-dessus de la charge du dromadaire. Dans les caravanes composées d’une famille riche ou appartenant à un chef, les femmes et les enfans étaient cachés