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dégage ses dattiers en rejetant le sable au dehors. Il recommence ce travail de Sisyphe chaque fois que le vent du nord ou celui du sud ensable ses palmiers et les planches de légumes qu’il cultive au pied de l’arbre. En effet, un puits est creusé un peu au-dessus du fond de la cavité ; la profondeur n’en dépasse pas 6 mètres. Au moyen d’une bascule appelée chèvre, on tire une outre qui verse l’eau dans une rigole en plâtre et la conduit à de petits carrés où végètent, soigneusement débarrassés, de toute mauvaise herbe, des navets, des choux, des carottes, du millet, du piment, des pastèques et du tabac. Quelques figuiers, grenadiers ou abricotiers croissent aussi dans ces jardins creux. Les dattes et les légumes que je viens d’énumérer sont l’unique nourriture des habitans du Souf : ces fruits remplacent même la monnaie ; les ouvriers sont payés en dattes, qui sont en outre le seul objet d’exportation. De temps immémorial, elles vont par caravanes à Tunis, d’où elles partent pour l’Europe. Tunis est une ville essentiellement orientale, ville de fabrique et de commerce, ville de marchands vendant tous les objets imaginables, tous les chiffons, toutes les loques, toutes les vieilles ferrailles, tous les rebuts les plus infimes. Il existe à Tunis un bazar, un marché du Temple, dont la description défierait les plumes et les pinceaux les plus habiles. C’est là que l’habitant du Souf trouve ce qui lui convient, le nécessaire pour son âne et pour lui, le superflu, représenté par des porcelaines ou des ornemens invendables en Europe, et qui seront le plus bel ornement de sa pauvre maison. Tant, que des commerçans intelligens n’établiront pas dans une ville algérienne des bazars de cette espèce, les caravanes, la douane aidant, continueront à se diriger vers Tunis, où le Berbère trouve à la fois des acheteurs pour ses dattes et des marchands pour ses besoins. Grâce à leur ordre, à leur économie, les habitans du Souf sont plus riches, plus propres, mieux vêtus que leurs voisins des fertiles oasis de l’Oued-Rir. Leurs maisons, bien tenues, sont ornées de miroirs et de petits vases en porcelaine, leurs vêtemens sont renfermés dans des coffres multicolores ; la chambre de la femme, qui n’est point murée comme chez l’Arabe, est aussi ornée que les autres. Les hommes sont affables, les enfans gais et rieurs. Ces populations aiment la France, qui les protège contre les incursions des brigands tunisiens. Leurs petites mosquées à minarets peu élevés témoignent de la tiédeur de leurs croyances musulmanes ; aussi les voyons-nous rester paisibles malgré les agitations actuelles de la Tunisie et les révoltes du Sahara occidental. Entre ces deux foyers de soulèvemens, le Sahara oriental reste calme, témoignant ainsi de la justice et de la fermeté des officiers qui le gouvernent. Les bons habitans du Souf recueilleront les fruits de cette sagesse, et si ma faible voix pouvait être entendue, je réclamerais pour eux les bienfaits