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car leur vie est courte, la phthisie les emporte avant l’âge. Ces puits arabes durent peu. Le boisage pourrit, les terres s’éboulent, le sable obstrue l’orifice intérieur : alors, faute d’eau, les dattiers déclinent et périssent ; les villages se dépeuplent, l’oasis se rétrécit, et finit par disparaître. Le désert reprend possession du domaine que le travail de l’homme lui avait arraché. Avant l’occupation française, beaucoup d’oasis étaient dans ce cas : les unes n’existaient plus, les autres languissaient, aucune ne pouvait s’étendre. Le général Desvaux, alors colonel, commandait la subdivision de Batna. Il comprit que les puits artésiens étaient la vie des oasis et résolut de les multiplier. M. Dubocq, ingénieur des mines, avait publié en 1853 un mémoire sur la constitution géologique des Zibans et de l’Oued-Rir, montrant que la science confirme les indications de la pratique, savoir l’existence d’une nappe souterraine dans certaines régions du Sahara. En 1855, M. Ch. Laurent, mandé par le général Desvaux, explora le pays au point de vue spécial des sondages artésiens. M. Jus, ingénieur civil attaché à la maison Degousée, et M. Ch. Laurent arrivèrent en avril 1856 avec un équipage de sonde à Philippeville. Toutes les difficultés de transport sont vaincues : à travers les montagnes, les torrens, les sables, le pesant appareil arrive à Tamerna, non loin de Tougourt, après avoir franchi 340 kilomètres. Le premier coup de sonde fut donné au commencement de mai 1856, et le 19 juin une véritable rivière, fournissant 4,010 litres d’eau par minute, 610 litres de plus que le puits de Grenelle à Paris, s’élança des entrailles de la terre. La joie des indigènes fut immense, la nouvelle de ce forage se répandit dans le sud avec une rapidité inouïe. On vint de très loin pour voir cette merveille. Dans une fête solennelle, le marabout avait béni la fontaine nouvelle et lui avait donné le nom de Fontaine de la Paix.

Une oasis, celle de Sidi-Rached, non loin de Tamerna, dépérissait à vue d’œil. Les puits avaient tari, des dunes formées d’un sable d’une finesse extrême[1] envahissaient les cultures. J’ai vu enterrés dans le sable des dattiers dont la cime seule était encore visible ; d’autres, maigres, languissans, présentaient sur leurs troncs des étranglemens qui témoignaient de la sécheresse dont l’arbre avait souffert. Vainement les habitans avaient élevé des palissades et construit un marabout sur la cime de la dune la plus élevée : la dune marchait toujours, l’oasis était perdue. Les indigènes avaient essayé de creuser un puits, mais à 40 mètres de profondeur ils rencontrent un banc de gypse qu’ils ne pouvaient percer. L’atelier

  1. Un jeune chimiste, M. A. Moitessier, a analysé ce sable, dont 100 parties se composent de : silice 80, sulfate de chaux 13, carbonate de chaux 7.