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formidable qui devait nécessairement culbuter tous ces corps isolés ? » Et à cette question, comme le maréchal lui-même lui avait expliqué son dessein, il répond sans hésiter : « Tant que l’ennemi n’avait pas pris Fontenoy ou la redoute, ses succès dans le centre lui étaient désavantageux, étant sans point d’appui. Plus il marchait en avant, plus il exposait ses troupes à être prises en flanc par les Français qu’il laissait derrière lui. Il était donc essentiel de le contenir par des charges réitérées, trop faibles il est vrai pour s’en promettre un grand effet, mais qui donnaient le temps de disposer l’attaque générale d’où dépendait la victoire[1]. » Voilà un témoignage décisif. Quant aux ordres de retraité donnés par le maréchal, ordres positifs, nous dit Voltaire, qui plaide pour Richelieu, le baron d’Espagnac en connaissait bien la valeur. Ces ordres donnés à une partie des troupes se combinaient avec l’attaque générale réservée pour le moment suprême. Richelieu pouvait proposer un coup de main sans se soucier des conséquences ; Maurice était tenu de pourvoir d’avance aux nécessités d’un échec possible. « Il songeait à assurer la retraite, dit le baron d’Espagnac, dans le temps qu’il préparait les moyens de vaincre[2]. » Et qu’on ne voie pas ici la partialité d’un aide-de-camp décidé à justifier son chef ; les rapports émanés de toutes mains sont d’accord avec ce jugement. On peut dire que les preuves abondent, preuves de fait et preuves morales. Un illustre officier danois, donné par Maurice à la France et que nous rencontrerons dans la suite de notre histoire, le comte de Loewendal, voyant arriver Maurice à l’un des momens les plus critiques de la bataille, alla prendre ses ordres et lui dit : « Monsieur le maréchal, voilà une belle journée pour le roi ; ces gens-là ne sauraient lui échapper[3]. » Il avait deviné le plan du comte de Saxe. Comment s’expliquer d’ailleurs-le succès foudroyant de cette botte secrète ? « Dans un moment, écrit Maurice au ministre de la guerre, cette colonne anglaise qui pouvait consister en huit ou dix mille hommes, fut anéantie[4]. » Espagnac complète le tableau. « Le maréchal de Saxe avait commandé que la cavalerie touchât les Anglais avec le poitrail des chevaux ; il fut bien obéi. Les officiers de la chambre chargeaient pêle-mêle ftvec les gardes et les mousquetaires : les pages du roi y étaient l’épée à la main ; il y eut une si exacte égalité de temps et de courage, un ressentiment si unanime des échecs qu’on avait reçus, un concert si

  1. Histoire de Maurice, comte de Saxe, par le baron d’Espagnac. 2 vol., Paris 1775. Voyez t. II, p. 59-60.
  2. Id., ibid., p. 61.
  3. Id., ibid., p. 63.
  4. Lettres et Mémoires du maréchal de Saxe, 5 vol., Paris 1794, T. Ier, p, 233.