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Charles, menace la ligne du Rhin. Le roi est obligé de porter son quartier-général à Metz ; il tombe malade, il est en péril de mort, et un immense cri de douleur, le dernier cri d’enthousiasme populaire pour une monarchie condamnée, éclate d’un bout de la France à l’autre. N’est-il pas juste de reporter quelque chose de cet enthousiasme sur le chef vigilant et hardi dont les combinaisons avaient assuré la victoire aux assiégeans d’Ypres et de Menin ? L’enthousiasme ! il venait de renaître dans nos camps, à la voix de Maurice, après une période d’indifférence et de langueur. Vauvenargues ne dirait plus que les soldats vont à l’ennemi « comme les capucins vont à matines, » sans prendre intérêt à la guerre, sans amour de la gloire ou de la patrie, menés et ramenés par le tambour « comme la cloche fait lever et coucher les moines. » Ces paroles s’appliquent aux armées engourdies sous les maréchaux de cour, non pas aux jeunes recrues qui avaient retrouvé sur les pas du comte de Saxe la vieille impétuosité française. L’entrain, dans l’armée de Maurice, ne nuisait pas à la discipline, et l’estime des officiers pour le chef entretenait la confiance du soldat. Le comte Loss, qui a visité son camp, le décrit en deux mots : « tout s’y exécute à la minute, à la lettre, au compas, et le général est extrêmement estimé des officiers. »

Les opérations n’étaient pas encore terminées, l’armée française non plus que l’ennemi n’avait pas encore pris ses positions d’hiver, et déjà le maréchal Maurice était désigné pour le commandement de la prochaine campagne. Le comte d’Argenson, en lui donnant cette nouvelle, lui demande ses projets et ses plans[1]. Maurice, après avoir étudié les positions des alliés et cherché à deviner leurs desseins, dresse tout un plan de campagne qu’il vient soumettre au roi. Il arrive à Paris le 19 décembre. Il est plus ardent que jamais, car il sait ce qu’il vaut : la campagne de 1744 lui a révélé ce qu’il appelle les parties sublimes de son art. Il sent d’ailleurs que, malgré les intrigues de cour, il est désormais indispensable ; jamais la France n’a couru pareil danger dans cette terrible aventure. L’empereur Charles VII, celui pour qui nous avons engagé la lutte, vient de mourir le plus misérable des hommes au milieu des pompes menteuses de sa dignité (20 janvier 1745), et son fils, le jeune électeur Maximilien-Joseph, afin de conserver ses états héréditaires, s’est empressé de se soumettre aux injonctions de Marie-Thérèse. Nous voilà seuls contre une moitié de l’Europe, seuls, et quel est pour nous l’intérêt de cette guerre ? Quelle cause nous soutient en

  1. Lettre du comte d’Argenson au maréchal de Saxe, 24 novembre 1744. Dans les Lettres et Mémoires choisis parmi les papiers originaux du maréchal de Saxe, t. Ier, p. 156-157.