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stoïque, Maurice ne devait pas vous connaître. Aussi éprouve-t-on un certain malaise quand une parole indiscrète vient soulever de telles questions au sujet d’un tel homme ; on a hâte de quitter un domaine qui n’est pas le sien, on est impatient de se replonger avec lui dans le tourbillon des batailles.


IV

Le maréchal Maurice quitte Paris le 15 avril 1744 et va prendre sur la frontière le commandement de son corps d’armée. Le roi ne tarde pas à le suivre. L’armée du roi, sous les ordres de Noailles, assiégera les places fortes ; Maurice couvrira les assiégeans et tiendra l’ennemi en respect. Cette campagne de 1744 a été pour le nouveau maréchal une occasion glorieuse de justifier certains principes exposés dans ses Rêveries. « Je ne suis point, dit-il, pour les batailles, surtout au commencement de la guerre, et je suis persuadé qu’un habile général pourrait la faire toute sa vie sans s’y voir obligé. Rien ne réduit tant l’ennemi que cette méthode et n’avance plus les affaires. Il faut donner de fréquens combats, et fondre, pour ainsi dire, l’ennemi petit à petit… Je ne prétends point dire pour cela qu’on n’attaque pas l’ennemi quand on trouve l’occasion de l’écraser, et qu’on ne profite pas des fausses démarches qu’il peut faire ; mais je veux dire qu’on peut faire la guerre sans rien donner au hasard, et c’est le plus haut point de perfection et d’habileté d’un général. » Harceler continuellement ses adversaires, les fatiguer, les surprendre, les fondre petit à petit, telle fut l’œuvre de Maurice pendant cette vive campagne. Une activité de tous les instans sans que rien soit livré au hasard, une précision extrême au sein de l’extrême mobilité, voilà le signe distinctif de son génie. Tous les juges contemporains l’attestent, je dis les juges désintéressés et même plusieurs de ceux qui d’abord ne lui rendaient pas justice[1]. Grâce à cette vigueur d’action, le roi put emporter les places qu’il assiégeait sans être inquiété par l’ennemi. Menin, Ypres, Furnes, attendaient en vain les secours des Anglais : Maurice barrait la route.

Un grave incident vint arrêter nos conquêtes. Tandis que nous soutenons sur nos frontières du nord le choc de l’Angleterre et de la Hollande, une armée autrichienne, sous les ordres du prince

  1. A côté du maréchal de Noailles qui est « un peu brouillon et irrésolu devant l’ennemi, » il faut, écrit le comte Loas, un homme tel que Maurice. « M. de Saxe, dit le fils du duc de Luynes, — celui-là même qui l’accusait trois ans auparavant de mener les Français à la tartare, sans précaution ni détail, — M. de Saxe suit son objet sans le perdre de vue. » Mémoires du duc de Luynes, t. VI, p. 122.