Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui vous occupe à cette heure demande la fermeté d’un esprit fait comme le vôtre… » L’entreprise fut abandonnée, comme on pouvait le pressentir d’après la lettre du comte d’Argenson ; mais Charles-Edouard conçut dès lors une si vive amitié pour Maurice, qu’il annonça le projet de servir à ses côtés dans la prochaine campagne. Voilà bien l’héroïque étourdi dont les illusions avaient engagé la France dans une folle aventure, et qui la fit échouer par son impatience ! Si ses amis ne l’en avaient empêché, le prétendant au trône d’Angleterre allait combattre sous nos drapeaux les soldats de sa patrie.

Pendant ce temps-là, le comte Loss, toujours préoccupé des intérêts de Maurice, écrivait au roi de Pologne le 15 mars : « Je plains le comte de Saxe, qui sera la dupe de cette équipée, car il y a grande apparence que le roi a disposé, pendant son absence, du commandement qui lui était destiné en faveur du maréchal de Belles-Isle. » Le comte Loss se trompait ; Maurice obtint le commandement de l’armée de la Moselle. Louis XV avait résolu de prendre part à la nouvelle campagne, et, de tous les généraux qui pouvaient commander à côté du roi, aucun n’inspirait la même confiance que le vainqueur de Prague. Ce fut une occasion toute naturelle de braver enfin les préjugés de la cour et de donner à Maurice la haute dignité militaire que l’opinion publique lui avait depuis longtemps décernée. Le lundi de Pâques 6 avril, Versailles apprit, non sans étonnement, que le comte de Saxe était nommé maréchal de France. Le duc de Luynes, qui mentionne le fait dans son journal, a grand soin d’ajouter qu’il y a pourtant une différence entre le nouveau maréchal et ses collègues, « différence indispensable, parce qu’il est protestant ; » il n’aura le droit d’assister ni aux lits de justice ni au tribunal des maréchaux. Ces deux points exceptés, les privilèges seront les mêmes.. « On l’appellera le maréchal Maurice ; le roi le traitera de mon cousin. » Le duc de Luynes ajoute que le comte de Saxe avait refusé jusque-là de changer de religion dans la crainte qu’on n’attribuât cette démarche au désir d’être nommé maréchal, mais qu’il était disposé « à se faire instruire. » S’il est vrai qu’il ait tenu ce propos, la première partie atteste sa loyauté, la seconde est de pure politesse. Maurice n’était pas de ceux qui « se font instruire. » Il eût été un catholique sans foi, il est resté protestant par indifférence. Entre la franchise effrontée de l’absolue indifférence et l’hommage que le vice rend à la vertu, c’est aux casuistes de faire leur choix. Nous nous bornons à dire que le comte de Saxe n’était ni un philosophe ni un chrétien. Héros de l’action et de l’aventure, ne cherchez pas en lui les combats bien autrement glorieux qui font les héros de la vie morale ; tourmens généreux ou sérénité