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préjugés de la cour. On n’osait admettre un luthérien parmi les maréchaux de France ; ne pouvait-on créer une place de capitaine-général pour l’homme qui aurait exécuté une descente en Angleterre ? L’avocat Barbier écrit à la date de février 1744 : « La première opération a été d’enlever de tous nos ports depuis Nantes tous les bâtimens nécessaires pour le transport, ensuite de faire défiler à Dunkerque tous les régimens qui étaient aux environs et qui sont destinés pour l’embarquement. Cela a été fait avec grande diligence et grand secret. On dit qu’il y a quinze mille hommes d’embarquement et de bonnes troupes. Le comte de Saxe, qu’on croyait devoir commander sur la Moselle, est le général de cette expédition avec le titre de capitaine-général. » Le comte Loss, ministre de Saxe auprès du cabinet de Versailles, confirme ces paroles de l’annaliste dans une lettre au comte de Brühl : « On veut, dit-il, pour lui conférer un commandement en chef, créer ou renouveler pour lui la place de capitaine-général, les privilèges des maréchaux ne pouvant être accordés qu’à un catholique. » Cette place de capitaine-général, à laquelle on avait pensé un instant, ne fut pas créée pour Maurice ; mais Barbier, comme on voit, n’avait pas eu tort de mentionner ce bruit dans son journal : la commission donnée au comte de Saxe pour l’expédition d’Angleterre le désigne seulement par son titre de lieutenant-général dès armées du roi. Bien que ce document ne soit pas inédit, il appartient trop directement à notre sujet pour que nous puissions nous dispenser d’en citer ici quelques extraits. L’homme chargé d’une mission si importante et glorifié en de pareils termes par le souverain reconnaissant devait emporter bientôt sa nomination de maréchal, et même, après Fontenoy, une dignité militaire plus haute encore, malgré tous les préjugés de la vieille monarchie.


Commission de commandant en chef les troupes pour le sieur comte Maurice de Saxe.

« Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut.

« Un nombre considérable de sujets de la nation britannique qui, malgré les révolutions qui l’ont agitée, ont demeuré constamment attachés et fidèles à leur légitime souverain, notre très cher et très amé frère Jacques III, roi de la Grande-Bretagne, nous ayant fait demander en différens temps avec des instances réitérées un secours de nos troupes qui, passant en Angleterre et se joignant à eux, pussent les tirer de l’oppression où ils gémissent depuis tant d’années, remettre leur roi sur le trône, héritage de ses pères, et lui rendre l’entière possession de ses royaumes ; vu les liens du sang qui unissent la maison de Bourbon à celle de Stuart et le bon droit d’une aussi juste cause généralement reconnu de toute l’Europe, à laquelle