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sous ses ordres. Le public parisien, en chansonnant les vieux maréchaux, appelle aussi le comte Maurice au poste que les préjugés lui refusent, et quand il recevra, l’année suivante, le bâton du commandement, l’honnête avocat Barbier, écho des bruits de la ville, s’écriera : « Enfin ! enfin ! le voilà maréchal de France ![1]. »


III

« On croit nécessaire de dire à ceux qui pourront lire cet ouvrage qu’ils doivent se souvenir que ce n’est point ici une simple relation de campagnes, mais plutôt une histoire des mœurs des hommes. Assez de livres sont pleins de toutes les minuties des actions de guerre… » Qu’il nous soit permis de nous approprier ces paroles. Si Voltaire a pu s’exprimer ainsi à propos des guerres de Louis XIV, nous avons le droit d’invoquer la même excuse ou plutôt d’annoncer le même dessein au sujet des campagnes où Maurice de Saxe a préparé sa gloire. Que de minuties dans ces opérations militaires si compliquées, si embrouillées, si mal conduites, du moins jusqu’à l’heure où Maurice prendra le commandement ! Que d’ordres et de contre-ordres ! Les collecteurs de détails en ont rempli des volumes. Si on veut connaître les dépêches des chefs, la marche des troupes, les positions prises, quittées, reprises, les escarmouches et les combats, on n’a qu’à feuilleter les recueils spéciaux publiés en Hollande ou à Londres et les pages diffuses du baron d’Espagnac[2]. Aller droit aux grands faits, emprunter aux détails quelques traits de caractère, peindre un homme à travers le tumulte des événemens, et retrouver dans cet homme les qualités et les vices de son siècle, tel est le but de notre étude.

Le rôle de Maurice pendant la campagne de 174S peut se résumer en quelques mots : il sauva la France de l’invasion anglaise. On sait que le cardinal de Fleury, après nos désastres de Bohême, avait demandé la paix à Marie-Thérèse dans une lettre sans dignité, et que notre altière ennemie s’était empressée de publier cette supplique honteuse afin de déshonorer la France ; on sait aussi que le roi d’Angleterre, jusque-là spectateur de la lutte, y entra résolument au printemps de 1744. La retraite de Frédéric II, réconcilié avec l’Autriche par la cession de la Silésie, faisait la partie belle aux Anglais.

  1. Journal de Barbier, tome III, page 503 ; Paris 1861.
  2. Histoire de la dernière guerre de Bohême, Amsterdam, 4 vol., 1750. — Histoire de la guerre de 1741, Amsterdam 1755. — Collection historique, ou Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre terminée par la paix d’Aix-la-Chapelle, Londres 1758. — Histoire de Maurice, comte de Saxe, par M. le baron d’Espagnac, gouverneur de l’hôtel royal des Invalides ; Paris, 2 vol., 1775.