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disait le soldat de Maurice. Il ajoutait encore (et quand ma pensée va ainsi des grands jours du comte de Saxe aux grands jours de Voltaire, je ne fais que commenter ces paroles), il ajoutait avec autant de profondeur que de poésie : « Le feu, l’air, l’esprit, la lumière, tout vit par l’action. De là la communication et l’alliance de tous les êtres, de là l’unité et l’harmonie dans l’univers[1]. »


II

Les désastres auxquels Voltaire fait allusion dans son Éloge funèbre appartiennent à la fin de 1742. Le fruit des victoires de Maurice avait été bientôt compromis par les fautes du commandement supérieur. Le vieux maréchal de Broglie, malade et impotent, était un chef bien éclopé pour une telle guerre. On sait que l’électeur de Bavière était comme écrasé sous le poids de son ambition ; craignant de perdre ses états en convoitant l’empire, irrésolu, inquiet, disposé à voir partout des pièges, il aurait eu besoin d’un coopérateur qui pût dominer sa faiblesse. La défection de la Prusse et de la Saxe augmentent nos périls. Le maréchal de Broglie, qui a dispersé imprudemment les troupes françaises au moment où l’Autriche vient de concentrer les siennes, est mis en déroute et enfermé dans Prague. Belle-Isle le remplace, Belle-Isle plus intelligent à coup sûr et surtout plus hardi, mais livré en quelque sorte à la vengeance de Marie-Thérèse par la timidité radoteuse du cardinal Fleury. C’est lui qui reçoit du cabinet de Versailles l’ordre formel d’évacuer Prague au plus tôt et de ramener en France les débris de cette armée qui, sous un chef digne des soldats, aurait pu encore épouvanter l’Autriche. Le vieux cardinal, déjà bafoué par Marie-Thérèse, espérait acheter la paix par la soumission. Un seul homme sauva l’honneur de nos drapeaux ; c’était ce lieutenant de Maurice qui avait dirigé sous ses ordres l’escalade de Prague, celui que Maurice nous a signalé dans son récit, le plébéien que le panégyriste du comte de Saxe associe à la gloire du héros et auquel il décerne pour ainsi dire, au nom de la France elle-même, ce bâton de maréchal dont l’avaient privé les préjugés de son temps. « Qu’il nous soit permis, s’écrie timidement Thomas, d’associer le nom de Chevert à celui de Maurice[2]. » On parlait ainsi sous l’ancien régime ; aujourd’hui, loin de demander grâce pour ce rapprochement, nous croyons faire honneur au royal aventurier en plaçant à côté de lui le soldat plébéien,

  1. Vauvenargues, Maximes.
  2. Thomas, Éloge de Maurice, comte de Saxe. — Cette page sur Chevert ne se trouve pas dans le texte du discours tel qu’il fut couronné et publié en 1759 ; l’auteur a ajouté ce passage, ainsi que plusieurs autres détails, dans la seconde édition (1774).