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l’ardeur est comme irritée par la somnolence des autres, on voit en lui un Tartare. Eh ! non, c’est un Français qui vient réveiller la France : entrain, audace, humanité, ses vertus sont toutes françaises, et nos soldats, qui n’étaient pas si vivement conduits par les maréchaux du temps, nos soldats, un peu étonnés d’abord, ne tarderont pas à reconnaître leur chef.

Maurice a passé le Rhin le 21 août 1741 avec la division qu’il commande, et qui est presque tout entière composée de cavalerie. L’opération s’est faite, non sans danger, avec autant de précision que de promptitude. Nous lisons dans une de ses lettres au comte de Brühl : « J’ai pensé y périr avec une partie des troupes que je conduis, par un débordement inopiné de ce fleuve qui nous a pris dans le moment que nous le passions. J’ai tout sauvé, et nous n’y avons pas perdu un chiffon. » Quelques jours après, Maurice rejoint le quartier-général. L’armée française envahit le territoire autrichien sans trouver de résistance sérieuse à la frontière. Maurice, qui commande l’avant-garde, rencontre dix-huit cents hommes à Waldsee et les culbute. L’électeur, après bien des hésitations, a décidé qu’on se dirigerait vers Prague au lieu de marcher sur Vienne. Il sait que les Saxons viennent d’entrer en Bohême, et ne veut pas qu’ils s’en emparent pour y rester, comme Frédéric en Silésie. Cette décision une fois prise, Charles Albert retombe dans ses incertitudes ; on dirait qu’il lui suffit de surveiller ses alliés les Saxons. Singulière campagne, où l’on songe plus à déjouer ses amis qu’à battre ses ennemis. Il est vrai que, dans la confusion de tous les intérêts, les amis de la veille peuvent être les ennemis du lendemain ; mais que fera la meilleure des armées avec un chef qui ne sait ce qu’il veut ? Heureusement Maurice est là ; c’est lui qui frappera le premier coup en escaladant les murs de Prague. L’entreprise est périlleuse : investir une ville si grande et coupée en deux par la Moldau, c’est disséminer ses forces. D’autre part, où est le point vulnérable ? Sur quel endroit concentrer ses efforts et diriger l’attaque ? Si l’étude du terrain retarde les opérations du siège, l’armée autrichienne aura le temps d’arriver ; les assiégeans seront pris entre deux feux. Un des officiers de Maurice, M. de Gouru, se déguise en paysanne bohémienne, et, portant au marché sa provision de légumes, parcourt la ville entière sans éveiller de soupçons. Maurice, qui sait désormais le fort et le faible de la place, se charge de diriger l’assaut. En vain l’état-major de l’électeur s’oppose-t-il par tous les moyens au projet du comte de Saxe, il désarçonne ses critiques dans le conseil de guerre aussi vivement qu’il va culbuter l’ennemi sur le bastion du polygone. Quelques échelles lui suffisent. Grâce aux dispositions les plus sûres, secondé par des lieutenans dignes de lui, M. de Chevert et le comte de Broglie, il est au cœur