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Jean, Otto-Wilhelm, ces deux Kœnigsmark sont les dignes prédécesseurs de Maurice de Saxe sous les drapeaux de nos ancêtres. Le grand-oncle a été un des soldats de Turenne ; le petit-neveu est regardé par des juges habiles comme le Turenne du XVIIIe siècle. Tous les trois sont des condottieri, mais le dernier a éclipsé les deux autres.

Voilà donc Maurice de Saxe à la tête d’une division dans l’armée qui marche directement contre l’Autriche. Celui qui la commande, l’électeur de Bavière, nous doit compte de ses opérations. Le futur empereur Charles VII n’est ici qu’un général au service de la France, et quel général ? Le plus irrésolu des hommes, un ambitieux que son ambition effraie, un chef qui sera mené par ses troupes. La situation n’est pas mauvaise pour un Maurice de Saxe : ce sera lui, en plus d’une occasion, qui fera les plans et donnera le signal ; mais aussi que de difficultés, que d’entraves, avec un état-major sans direction ! Que de jalousies misérables ! Comme on devine aisément l’impatience irritée de Maurice ! Le jeune duc de Luynes, qui se trouvait à l’armée, traça, dès les premiers mois, une page curieuse où l’état des choses est représenté au vif. C’est une simple note adressée à sa femme.


Portrait du caractère des généraux.

« L’électeur, par la brièveté de ses lumières, a pensé faire échouer notre entreprise. Son irrésolution n’a rien d’égal, et sa facilité à suivre tous les conseils prouve assez qu’il est peu capable d’un bon avis.

« Le maréchal de Terring veut tout faire, et cette besogne est absolument au-dessus de ses forces, surtout celle de général. Il est peu estimé dans l’armée française.

« Les officiers-généraux bavarois sont d’une prudence si parfaite qu’ils voient des ennemis partout.

« Le comte de Saxe mène les Français sans précaution ni détail, à la tartare. C’est cependant celui de tous qui vise le plus au grand.

« Vous me dispenserez de parler sur les Leuville, d’Aubigné, Gassion et Lafare. Ce qui est certain, c’est que tous se réunissent pour avoir ensemble les tracasseries les plus misérables. Les Boufflers, Luxembourg et Mirepoix sont ceux dont on fait le plus de cas[1]. »


Le duc de Luynes ne dira pas toujours que le comte de Saxe mène les Français « sans précaution ni détail. » Quand il le connaîtra mieux, il admirera au contraire, avec tous les juges désintéressés, ce rare mélange d’entrain et de prudence, ce respect de la vie du soldat joint à des résolutions si hardies, cet art de prévoir avec calme et de frapper comme la foudre. Il y a ici toutefois une première impression fort curieuse à noter. Ce chef impétueux, dont

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 57-58. Paris 1861.