Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

invoque un titre, un traité, une promesse ; chacun revendique sa part. L’Espagne, la Prusse, la Saxe, la Bavière, la Sardaigne, réclament à l’envi un lambeau de la vieille monarchie allemande, et la France, qui ne pensait d’abord qu’à soutenir Charles-Albert, est entraînée dans une coalition qui l’abandonnera au premier choc. Était-il donc si difficile de prévoir que chacun des coalisés, une fois sa passion satisfaite ou son espérance détruite, finirait par redouter notre prépondérance, que les premières alliances se rompraient, et qu’alors l’autre moitié de l’Europe, c’est-à-dire l’Angleterre, la Russie, la Hollande, se tournant contre nous, la France resterait seule en face d’une coalition nouvelle, s’obstinant d’abord par point d’honneur et contrainte ensuite par la nécessité à une guerre sans principe et sans but ? Un Richelieu se serait contenté d’abaisser la maison d’Autriche ; en se prêtant d’une manière aveugle à une œuvre de spoliation, le gouvernement de Louis XV n’a fait que préparer une sorte de restauration autrichienne. Quel a été en définitive le résultat de la lutte ? Marie-Thérèse a gardé l’Autriche, et l’Autriche a regagné l’empire. Pour enlever la couronne impériale aux héritiers des Habsbourg, il faudra toute une révolution. Ce sceptre des Othon, que Marie-Thérèse a ressaisi avec tant de vigueur, ne se brisera aux mains de ses enfans que dans le cataclysme d’où sortira le monde nouveau. L’Autriche, en un mot, ne cessera de posséder l’empire d’Allemagne que le jour où l’empire d’Allemagne se sera évanoui sous le canon d’Austerlitz.

Maurice de Saxe, qui n’entend rien à la politique, se trouve pourtant avoir exprimé mieux que personne le caractère frivole et incohérent de cette guerre quand il écrit au comte de Brühl, à l’occasion d’une nouvelle démarche relative au duché de Courlande : « Je ne me fais pas illusion, mon cher comte ; mais le brouillamini général qui s’apprête peut bien, après tout, m’apporter quelque bonne chance. » Ce mot-là ne vaut-il pas les considérations les plus graves ? Qui a plus vivement exprimé la confusion de tous les intérêts dans une grande aventure ? C’est une loterie que cette mêlée. Nul plan, nuls principes ; on compte sur le hasard. De là ces alliances si aisément rompues, de là ces changemens à vue sur la scène et le perpétuel va-et-vient des acteurs. Étrange coalition ! on y entre, on en sort suivant le besoin du moment. En somme, parmi les coalisés, deux hommes seulement, et deux hommes qui ne se ressemblent point, ont gagné à ces luttes de sérieux avantages. L’un, qui sait concevoir et agir, a élevé un royaume encore faible au rang des grandes puissances de l’Europe ; l’autre, qui ne sait que se battre, a trouvé les occasions de gloire si ardemment appelées. L’un est un roi, l’autre un aventurier. L’un mêle à ses opérations militaires les conceptions politiques les plus hardies ; l’autre, quoique rêvant tou-