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ce titre pompeux et énigmatique de commissaire extraordinaire. Il n’en a pas fallu davantage pour que M. Salazar quittât le port du Callao en fulminant des menaces dont on ne comprenait pas trop encore le sens ; on ne l’a compris que deux jours plus tard, lorsqu’on a su à Lima que le « commissaire extraordinaire, se rencontrant en mer avec l’amiral Pinzon, accouru fort à propos des côtes du Chili, où il était en croisière, venait de paraître devant les îles Chincha, donnant au gouverneur péruvien un quart d’heure pour se rendre. En un instant, garnison et gouverneur étaient prisonniers, et le pavillon d’Espagne flottait sur les îles. Ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est le commentaire ajouté sur le moment à cette brusque prise de possession. Les agens espagnols s’attribuaient le droit de revendiquer au nom de leur gouvernement la propriété des îles Chincha, attendu que depuis la guerre de l’indépendance il n’y a eu qu’une « trêve de fait. » Or quand on sait que ces îles, par leur produit, sont la principale ressource financière du Pérou, que le commerce de Lima est engagé dans toutes les affaires de guano, il est facile de comprendre, sans parler même des susceptibilités nationales offensées, l’émotion qui s’est emparée de toute la population péruvienne et les protestations du gouvernement. On ne peut s’étonner non plus des démarches tentées, quoique inutilement, par le corps diplomatique et consulaire résidant à Lima pour arriver à un arrangement immédiat qui n’a pu se réaliser.

Ainsi, en pleine paix, sans déclaration d’hostilité, sans raisons suffisantes pour expliquer une telle extrémité, voila deux agens espagnols assaillant à main armée une possession, s’en emparant, faisant une garnison prisonnière, et plaçant un tel fait sous la protection de cette théorie commode de la revendication, attendu qu’il n’y a qu’une trêve entre l’Espagne et le Pérou. On a beau être en Amérique, la violation de tout droit n’est pas moins ici d’une crudité choquante. Malheureusement, cet acte une fois accompli, la situation s’est compliquée encore de nouveaux incidens. Soit de son propre mouvement, soit par suite de dissentimens avec l’amiral Pinzon, M. Salazar y Mazarredo a cru devoir tout à coup déclarer sa mission terminée et repartir pour l’Europe. Or c’est ici justement que tout s’aggrave encore plus et va se perdre dans des scènes enveloppées de mystère. M. Salazar y Mazarredo est resté persuadé que sur le paquebot qui l’emportait il a été l’objet de tentatives d’empoisonnement inspirées par des agens péruviens. Ce qui est un peu plus certain, c’est qu’à son passage à Panama des nègres ont été ameutés contre lui, qu’il n’a dû son salut qu’à la protection des consuls étrangers, que la maison même de l’agent français a été assaillie et insultée, et c’est ainsi que de péripétie en péripétie, pour un coup de tête de deux de ses agens, l’Espagne s’est trouvée lancée sans y songer, non-seulement dans une querelle avec le Pérou, mais encore dans une affaire avec la Nouvelle-Grenade, dont fait partie Panama, où se sont passées ces scènes de violence. Accuser le gouvernement péruvien d’avoir trempé dans des tentatives d’assassinat ne