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en Amérique. Que l’Espagne, qui en est encore à reconnaître le Pérou après quarante ans d’indépendance, eût saisi cette occasion de nouer enfin des rapports diplomatiques, de paraître officiellement à Lima, et se fût mise ainsi en devoir de défendre directement la sécurité et les intérêts de ses nationaux, placés jusqu’ici sous la protection de la France, rien n’était plus naturel et plus simple. Malheureusement cette situation s’est étrangement compliquée tant par la nature de la mission espagnole expédiée à Lima, que par les incidens qui se sont succédé à la suite de cette mission, et ici peut-être l’Espagne ne fait que recueillir le fruit de son étrange politique à l’égard de ses anciennes possessions du Nouveau-Monde.

L’Espagne, pour tout dire, n’est point accoutumée encore à l’émancipation de cet immense continent américain dont elle a disposé en souveraine. Le ministre actuel des affaires étrangères de Madrid, M. Pacheco, disait récemment, avec une singulière justesse, que les Espagnols en Amérique ne devaient aspirer, à être traités que comme les autres étrangers, comme les Anglais et les Français. C’est là ce qui aurait dû être pratiqué depuis longtemps, et c’est ce qui ne l’a pas été. L’Espagne a trop souvent affecté les allures d’une ancienne métropole qui garde toujours une arrière-pensée, qui laisse échapper parfois le mot de revendication. Lorsqu’elle faisait, il y a trois ans, l’annexion de Saint-Domingue, elle parlait de réincorporation à la monarchie. Il en résulte que les Espagnols, au lieu d’avoir en Amérique la situation naturelle, de préférence même, dirons-nous, qu’ils devraient s’être assurée, sont encore aujourd’hui aussi impopulaires qu’au lendemain de la proclamation de l’indépendance américaine. Sur tout le nouveau continent, ils n’excitent que des défiances jalouses qui se traduisent parfois en animosités violentes. Ce n’est pas tout : lorsque le gouvernement espagnol a l’idée d’envoyer quelque mission en Amérique, il ne sait pas le faire simplement. Ses agens arrivent avec des instructions vagues, mystérieuses, qui, avant même d’être connues, sont interprétées comme une menace. Ils se présentent comme des proconsuls, ils font des coups de tête, et par le fait ils ne réussissent qu’à envenimer les hostilités, tout en jetant leur gouvernement dans les plus fâcheuses aventures. Tous ces caractères se retrouvent dans la mission confiée, il y a déjà quelques mois, à un député du parlement de Madrid, M. Salazar y Mazarredo, homme d’esprit sans doute, mais qui est arrivé au Pérou en se disant, comme beaucoup de ses compatriotes en mission, qu’il devait faire quelque chose.

Le titre même de commissaire spécial et extraordinaire de la reine dont était revêtu M. Salazar y Mazarredo était un premier embarras : il n’avait rien de diplomatique, il semblait au contraire indiquer de la part de l’Espagne l’idée d’un droit survivant. En un mot, l’envoyé espagnol apparaissait un peu trop comme un agent extraordinaire expédié par un gouvernement suzerain dans des possessions lointaines. Le Pérou s’en est ému, il y a vu une atteinte indirecte à son indépendance, et sans refuser d’admettre M, Salazar y Mazarredo comme agent confidentiel, il n’a pas voulu reconnaître