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on peut le dire, à l’Europe étonnée. Nous félicitons le ministère libéral d’avoir mis fin par la dissolution de la chambre à une situation qui devenait grave à force d’être ridicule. C’est au peuple belge de prononcer maintenant entre le parti libéral et le parti catholique. D’ordinaire les manœuvres chicanières auxquelles les catholiques ont eu recours sont une mauvaise recommandation pour un parti auprès des corps électoraux. Nous ne doutons point que la Belgique éclairée ne donne la victoire aux libéraux ; mais, quand même les élections générales devraient fournir une majorité au parti clérical, cette solution serait préférable encore à la triste situation d’où l’on sort. Mieux vaut pour des âmes fières et des esprits élevés, mieux vaut pour des hommes tels que M. Frère-Orban, M. Rogier et leurs amis, se retremper dans l’opposition que de conserver le pouvoir aux tristes conditions qui leur avaient été faites dans ces derniers temps.

La question roumaine, soulevée par le coup d’état du prince Couza, avait peu de chances d’attirer l’attention de l’Europe, lorsque toutes les préoccupations étaient absorbées par le drame du Danemark. Maintenant que le Danemark donne congé aux diplomates trop affairés à qui il avait confié sa cause, peut-être aura-t-on le loisir de prendre garde à ce qui se passe en Roumanie. La Roumanie est bien loin de nous sans doute ; cependant quel intérêt ne nous inspirait-elle point au moment du congrès de Paris ! C’est pour elle que d’éloquens écrivains de la démocratie, tels qu’Edgar Quinet, avaient éveillé nos sympathies ; c’était avec elle que nous inaugurions le droit nouveau et le principe des nationalités. Or que voulions-nous à cette époque ? Appeler un peuple à l’existence, ou bien faire la fortune d’un homme, d’un inconnu, d’un colonel improvisé de milices, qui s’est depuis improvisé dictateur ? Le question vaut la peine qu’on y songe : elle intéresse l’honneur et l’influence en Orient de l’Europe occidentale. Personne en Europe ne prendra au sérieux le plébiscite par lequel le prince Couza s’est fait décerner la dictature. Tout le monde a compris, comme les plénipotentiaires du congrès de Paris, que, s’il s’agit de réveiller une nationalité en Roumanie, on n’y peut réussir que par des institutions libres qui évoquent toutes les forces vives du peuple roumain, et non au moyen de l’omnipotence d’un seul, nivelant et effaçant tout sous lui. Le prince Couza, ce représentant d’une nationalité renaissante, est allé faire acte de vasselage à Constantinople ; il a créé un bataillon de zouaves roumains en l’honneur et à l’imitation des zouaves du sultan, et il a supprimé le journal de M. Rosetti, patriote bien connu chez nous. Abandonnerons-nous un pays qui était presque notre œuvre à une telle direction, et laisserons-nous encore une fois la Russie prendre en Orient le patronage des nationalités souffrantes ?

E. FORCADE.

L’ESPAGNE ET LE PÉROU.

Le temps n’est point décidément au respect du droit et aux choses régulières dans la politique. Plus que jamais peut-être, le hasard et la force