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que ces prétendues idées innées se tirent des idées sensibles par le moyen de l’analyse et de l’abstraction. L’école spiritualiste soutient-elle qu’il y a des causes et des substances, M. Taine reprend la vieille thèse de Condillac et de Hume, il affirme qu’une substance est une collection de phénomènes, et qu’une cause est une relation de phénomènes. L’école de Maine de Biran assure-t-elle qu’il y a dans l’homme autre chose que la sensation, à savoir une volonté, une puissance d’effort et d’action qui fait jaillir les phénomènes de son sein, et qui est ainsi le principe de la responsabilité et de respectabilité morale, M. Taine enseigne avec Hume que la volonté n’est elle-même qu’un phénomène et non une puissance, un effet et non une cause. Jouffroy enfin essaie-t-il de prouver que la distinction du bien et du mal suppose un certain ordre absolu, c’est-à-dire une coordination des fins à laquelle toute créature rationnelle et libre est tenue de coopérer, M. Taine, reprenant la vieille thèse des écoles empiriques (seulement en l’exposant d’une manière beaucoup plus vague), nous dit que le bien d’un être est la somme des faits principaux qui constituent sa nature, et il explique par là, si l’on veut, comment chaque être recherche son propre bien ; mais il échoue entièrement lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi il est tenu de faire le bien d’autrui. En un mot, dans toutes ces thèses, M. Taine ne montre aucune invention ni aucune originalité. Il reprend toutes les questions exactement dans les mêmes termes où on les posait il y a cinquante ans, sans se soucier le moins du monde des raisons, après tout assez sérieuses, il me semble, pour lesquelles on avait abandonné toutes ces solutions.

Je ne puis résumer toutes ces discussions., traitées par M. Caro avec une dialectique serrée ; je signalerai seulement le point capital. M. Taine, avec tout le chœur des philosophes empiriques et sceptiques, ne veut admettre ni cause ni substance. Un groupe de phénomènes, voilà la substance ; une relation de phénomènes ou une loi, voilà la cause. Et réduisant, comme Descartes, tous les objets à deux classes, il ne voit dans la nature que « des groupes de mouvemens et des groupes de pensées. » Mais au risque de me faire ici l’écho du docteur Reid, de même que M. Taine se fait l’écho de Condillac, j’avoue que je ne puis comprendre ce que c’est qu’un groupe de mouvemens. J’adjure, non pas M. Taine, qui a là-dessus pris son parti, mais ceux qui veulent bien me lire, de se demander s’ils peuvent concevoir un mouvement sans quelque chose qui se meut. Que l’on ne dise pas : Ce qui se meut, ce sont des couleurs, des sons, des odeurs, c’est-à-dire un groupe de phénomènes, car tous ces phénomènes ont été par hypothèse réduits au mouvement seul. Or, quand je conçois un mouvement, je conçois une chose,