Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui ne voit le vice d’un semblable raisonnement ? De ce que, dans l’absence d’un objet, l’idée que j’en ai est une véritable image de cet objet, comment conclurais-je que cette idée est encore une image quand l’objet est présent ? Qu’ai-je besoin d’image devant l’objet même ? Sans doute, dans la perception, il y a une représentation de l’objet (et qui l’a jamais nié ?) ; tout ce qu’ont voulu dire les Écossais, c’est qu’entre la perception et l’objet, il n’y a rien, que la perception est l’acte dans lequel le sujet et l’objet s’unissent sans intermédiaire, et cela est d’une absolue vérité.

Cette théorie des idées-images que M. Taine ressuscite si mal à propos l’entraîne à la plus étrange définition de la perception extérieure. « La perception extérieure, dit M. Taine, est une hallucination vraie ; » mais comme l’hallucination est par définition une représentation fausse, comment pourrait-elle être vraie sans cesser par cela même d’être une hallucination ? Voulez-vous dire simplement que le même objet, non réel dans l’hallucination, est réel dans la perception ? C’est ce qui est trop évident. Voulez-vous dire que de part et d’autre il n’y a dans l’esprit qu’une conception, que le seul objet de la pensée est toujours une idée dans l’un et dans l’autre cas ? Alors comment savez-vous que dans un cas l’idée correspond à quelque chose de réel, et dans l’autre, non ? La perception sera donc non pas une hallucination vraie, mais purement et simplement une hallucination, dont on ne saura jamais si elle est vraie ou si elle est fausse. Rien de plus contraire d’ailleurs à la vraie psychologie que d’expliquer la perception par l’hallucination, car celle-ci n’est qu’un phénomène dérivé de celle-là. J’ai des perceptions avant d’avoir des hallucinations, et sans perception point d’hallucinations possibles, car les aveugles-nés, que je sache, n’ont point d’hallucinations de la vue. Les visions du sommeil, si semblables aux hallucinations, sont toutes empruntées aux perceptions de la veille ; M. Maury en a donné des preuves nombreuses dans son curieux ouvrage sur le sommeil. Ainsi la perception est un phénomène primitif, l’hallucination un phénomène dérivé. Expliquer le premier par le second est une faute de méthode qui trahit l’irréflexion, l’empressement d’affirmer, la séduction exercée sur notre esprit par une formule plus ou moins heureuse dont nous nous croyons les inventeurs.

Sur la plupart des autres points où M. Taine combat les doctrines spiritualistes, on peut faire les mêmes remarques. Partout il substitue purement et simplement la doctrine condillacienne et sensualiste à la doctrine qu’il repousse. Celle-ci soutient-elle qu’il y a des idées qui ne viennent pas des sens, ni directement ni indirectement, M. Taine se contente de dire avec Condillac et Locke