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peu familiers avec ces questions. M. Caro démêle toutes ces nuances avec souplesse et dextérité dans un livre qui nous donne en raccourci l’histoire philosophique de ces dix dernières années. C’est pour nous une occasion heureuse et naturelle d’exposer nous-même, à un point de vue assez peu éloigné de celui de M. Caro, les principaux débats de la philosophie contemporaine en France.


I

Il n’y a pas de commencement absolu dans les choses humaines, et il serait difficile de déterminer d’une manière rigoureuse à quel moment par exemple est né le nouveau mouvement d’opinion qui appelle à tant de titres l’attention de la critique philosophique. Cependant, pour fixer les idées, et sans attacher à une date plus d’importance qu’elle n’en mérite, on peut dire que la crise où nous sommes est devenue publique, intéressante pour tous, et a saisi l’opinion à peu près avec les premiers ouvrages de deux brillans esprits, M. Renan et M. Taine. C’est surtout le second qui, par son livre des Philosophes français au dix-neuvième siècle, a porté devant le public le procès actuel. Ce livre spirituel et moqueur, où quelques bonnes objections se mêlent à trop de personnalités et à une philosophie peu nouvelle, manque trop souvent de la sévère impartialité du critique et du juge. Cependant il eut un assez grand succès : d’une part, il satisfaisait certaines rancunes qu’une puissance trop prolongée finit toujours par provoquer contre soi ; en second lieu, il levait le drapeau contre une école que les uns jugeaient rétrograde, et que les autres commençaient à trouver trop immobile.

Si, dans le livre des Philosophes français, on écarte tous les accessoires, par exemple la peinture des personnages, les appréciations littéraires (souvent ingénieuses), les plaisanteries d’un goût équivoque, les descriptions pittoresques, toutes choses qui rendent l’ouvrage piquant et intéressant, mais qui ne touchent pas au fond des questions, on peut ramener toute la polémique de l’auteur à quatre objections principales, une par philosophe : vous avez ainsi les objections Royer-Collard, Maine de Biran, Cousin, — et enfin l’objection Jouffroy. À ces quatre objections ajoutez-en une cinquième, plus générale, qui est dirigée contre l’école tout entière, et voilà toute la partie critique de la philosophie de M. Taine ; mais il ne se contente pas de critiquer, il corrige, et à la place des idées qu’il croit détruire, il propose les siennes propres. Comme l’une de ses principales objections est que l’école qu’il combat n’a rien inventé, il se doit à lui-même d’inventer quelque chose. Il s’y met