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partout où il est appliqué. En intéressant toute la population maritime au développement du commerce et de la navigation régulière, il a fait entièrement disparaître la piraterie, ce fléau qui infestait sur une si grande échelle les mers du Levant et surtout l’Archipel, il n’y a pas trente ans. En répandant et en enracinant les habitudes d’honnêteté dans les rapports entre co-associés, il les a développées dans les relations entre les marins et les négocians qui leur confient des marchandises, et de la sorte il a beaucoup diminué la baraterie, cet autre fléau traditionnel du commerce maritime oriental. Un pays où l’esprit d’association existe à ce degré dans les classes laborieuses, où il a déjà porté spontanément des fruits aussi remarquables, possède une grande force de développement industriel qu’il faut savoir utiliser. Le gouvernement déchu n’aimait pas les associations, où il voyait un élément d’indépendance vis-à-vis du pouvoir ; le gouvernement nouveau doit les encourager, et user de toute sa puissance pour les étendre et les multiplier.

Quelles conclusions tirer de ces faits ? La première, qui est l’enseignement du passé, c’est qu’on ne doit point désespérer des destinées de la Grèce, c’est que les progrès accomplis sont déjà grands et incontestables, mais qu’il importe, pour en faire d’autres, de mettre fin au règne de la classe politique, de fortifier l’autorité et d’amener le pays à une intervention réelle dans ses affaires. La seconde, qui ressort du tableau des lacunes du présent, c’est que l’heure du repos n’est pas venue. Les réformes dont on vient d’exposer l’urgence sont de nature à occuper pendant bien des années l’activité d’un souverain et de ses conseillers ; si les difficultés de la tâche sont grandes, les ressources pour les surmonter ne font pas défaut ; avec un peuple doué d’autant de vitalité, d’intelligence, de courage au travail, de bonne volonté pour le progrès que l’est le peuple grec, il n’y a rien qu’on ne puisse tenter. Seulement c’est une race méridionale, à l’imagination ardente, qui ne saurait se passer d’avoir pour objectif dans ses efforts quelque haute pensée. Les nations plus positives qui vivent sous un climat moins brûlant s’appliquent aux réformes intérieures pour elles-mêmes et n’ont pas besoin, pour stimuler leurs efforts, d’un autre mirage à l’arrière-plan ; mais avec le caractère des Grecs, si le peuple cessait de rêver un plus grand avenir, il serait à craindre qu’il ne se décourageât et qu’il ne trouvât le résultat à poursuivre hors de proportion avec les peines au prix desquelles il veut être atteint. Aussi les ambitieuses visées que les Hellènes appellent la grande idée peuvent-elles, si elles sont bien comprises, ne leur être pas inutiles et aiguillonner puissamment leur activité. Autant ces aspirations leur seraient funestes, si elles se traduisaient en rêves stériles et en entreprises