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le développement des associations coopératrices ; les Grecs y sont éminemment propres et ont déjà produit sous ce rapport, sans aucun encouragement du pouvoir, de véritables merveilles.

Les associations de ce genre préoccupent vivement déjà les économistes, qui en provoquent la formation parmi les populations manufacturières, et y voient le meilleur moyen de résoudre plusieurs des grandes difficultés sociales de notre époque. On a cité les exemples de l’Angleterre et de l’Amérique en les proposant à limitation de nos ouvriers, mais on paraît généralement ignorer que la plus grande partie du commerce maritime, si florissant en Grèce, s’y fait au moyen d’associations coopératrices entre matelots. Voici en quelques mots comment les choses se passent. Un certain nombre de marins se réunissent pour la construction d’un navire, apportant les uns leur argent, les autres du bois, des voiles, des cordages, qui sont estimés d’un commun accord. Le bâtiment s’exécute au plus bas prix possible. Comme toutes les constructions navales des ports de la Grèce, il sera d’une forme élégante et bien conçue pour avoir une marche rapide avec une grande stabilité par tous les temps. Sur cet article, on est passé maître à Syra, à Hydra, à Spetzia, à Galaxidi. Il est vrai que la durée du navire ne sera pas très longue, car on aura visé avant tout à l’économie ; mais qu’importe ? les frais de la construction seront couverts dès le quatrième voyage au long cours, et s’il fait d’autres navigations, elles seront toutes en bénéfice. Le navire est construit ; les associés s’y embarquent comme matelots et élisent entre eux un capitaine, celui qu’ils savent le plus expérimenté. Ils s’adressent alors aux négocians pour avoir une cargaison, et ils partent pour Marseille, pour Trieste, pour Gênes ou pour Livourne. Au retour, les produits de la campagne sont divisés en deux parts : la première est pour le capital, c’est un dividende qui se répartit entre les associés proportionnellement à leur mise ; la seconde part est destinée à la rémunération du travail : chacun en reçoit une fraction en rapport avec la nature de son service à bord. Jamais un acte notarié n’intervient pour régler ces associations : elles se font par conventions verbales, et le capitaine en est le gérant ; la répartition des gains se fait en commun, et rien n’est plus rare que de la voir donner naissance à des querelles. Grâce à cette organisation et à leur excessive sobriété, qui fait qu’ils ne dépensent presque rien, les Grecs arrivent à pouvoir exécuter les transports avec une modicité de prix que la marine d’aucune autre nation ne peut égaler, et de cette manière ils supplantent graduellement tous leurs rivaux sur les routes qu’ils ont l’habitude de fréquenter. D’un autre côté, le principe de l’association a exercé dans les ports du royaume hellénique l’effet moralisateur qu’il produit