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ami de la paix, hostile aux tendances révolutionnaires : c’est, nous n’hésitons pas à le dire, un des meilleurs peuples de l’Europe ; mais en même temps, en évidence et depuis trente ans à la tête du pays, on rencontre cette classe politique dont nous avons dû qualifier sévèrement les défauts et les vices, deux ou trois cents ambitieux qui montent à l’assaut du pouvoir, et qui, en s’en disputant les lambeaux, déchirent le pays sans scrupule. Le roi Othon avait commis la faute énorme de s’appuyer exclusivement sur ces hommes et de croire qu’ils pourraient lui apporter une force ; il pensait se les attacher en fermant les yeux sur leur conduite, en les laissant pressurer et exploiter la Grèce ; il ne faisait rien pour le peuple et le livrait entièrement à leur rapacité. Ce sont cependant ces mêmes hommes qui l’ont renversé quand ils ont cru trouver leur avantage dans une révolution ; le peuple, qui souffrait depuis trente ans, les a laissés faire avec cette patience un peu railleuse qui ne se serait peut-être démentie qu’après la mort d’Othon Ier. Si le roi George, une fois en possession de l’exercice régulier de ses droits constitutionnels, s’entourait exclusivement de ces hommes dans ses conseils, s’il leur abandonnait toute l’autorité et les laissait constamment s’interposer entre lui et la nation grecque, on pourrait lui prédire avec certitude le sort du roi Othon ; mais, s’il s’appuie sur la population laborieuse des campagnes et des villes, il deviendra vite un des rois les plus solidement assis de l’Europe, il assurera à la Grèce l’avenir auquel elle a le droit de prétendre. Le mal étant en haut dans la société grecque et le bien en bas, la démocratie, qui dans d’autres pays serait un danger, est ici la voie de salut et l’élément de conservation. Nous ne craignons pas d’employer ce mot de démocratie, qui pourrait peut-être donner le change sur notre pensée ; mais les inconvéniens de la démocratie dans un grand état ne sauraient être les mêmes dans un petit pays dont la population ne s’élève pas à quinze cent mille âmes, où il n’y a pas de grandes agglomérations industrielles, où le paupérisme est inconnu, où tous les paysans savent lire et écrire et sont propriétaires. Ce ne sont pas les conditions de la France, mais bien plutôt celles de la Suisse. Il ne faut pas l’oublier d’ailleurs, la grande faiblesse de la Grèce, qui lui est commune avec tout l’Orient chrétien, réside dans l’absence d’une classe moyenne ; c’est à la création de cette classe pondératrice que doivent tendre tous les efforts. Et ici l’exemple de notre moyen âge doit être pour les Hellènes la source d’utiles enseignemens : c’est l’intime union de la royauté et du peuple qui chez nous a donné naissance à la classe moyenne ; c’est cette même union qui peut en Grèce en amener la formation. Est-ce à dire que le nouveau roi des Hellènes doive entreprendre l’œuvre d’un autre Richelieu,