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soit pas sorti un homme de génie, un homme capable de dominer tous les autres et de les conduire, de créer un pouvoir vigoureux et durable pour le bien du pays et pour sa propre gloire. Si cet homme s’était rencontré, la Grèce n’aurait pas eu besoin d’aller chercher un roi à l’étranger, et la fondation d’une dynastie nationale eût garanti l’avenir contre les révolutions ; mais cet homme a manqué à l’état hellénique, il ne s’est produit ni dans l’ordre civil ni dans l’armée. Le même fait a marqué l’histoire moderne de l’Espagne dans tout le cours de la longue révolution qui a fini par la doter d’un gouvernement constitutionnel complet et fonctionnant régulièrement. Il inspirait ici même, il y a dix-sept ans, à M. Charles de Mazade des réflexions qui s’appliquent aujourd’hui à la Grèce aussi exactement qu’elles s’appliquaient alors à l’Espagne[1]. « Il me semble, disait-il, que rien n’est plus simple qu’un tel fait avec le développement outré de l’esprit individuel. La grandeur des hommes et la stabilité de leur puissance ne s’expliquent que lorsqu’ils se font les représentans de quelque grande pensée, de quelque grand intérêt, qu’ils savent aller saisir dans le cœur même de leur pays. Il n’en est pas ainsi en Espagne, où les hommes le plus souvent ne représentent qu’eux-mêmes ; ils vont en avant, sans observer si quelqu’un les suit ; ils saccagent les lois qu’ils ont créées la veille ; ils agissent sous l’influence irrésistible d’une passion instantanée, d’une émotion passagère et superficielle ; la passion s’apaise pour faire place à une autre, l’émotion se calme, cette flamme superbe s’évanouit ; que reste-t-il ? Un succès de hasard qui étonne d’abord et va bientôt se briser contre un autre hasard. » Dans un pays où le caractère national est ainsi fait, qu’il se nomme l’Espagne ou la Grèce, c’est à la royauté qu’il appartient de s’emparer du rôle initiateur pour lequel il ne se présente aucun véritable homme d’état.

La royauté grecque doit donc gouverner : elle doit éviter de se mettre à la tête d’un parti et surtout de devenir elle-même un parti, comme l’était devenue celle d’Othon Ier ; mais elle doit avoir son action à elle, sa politique permanente à travers les vicissitudes parlementaires qui amèneront à tour de rôle au gouvernement tels ou tels hommes, tel ou tel parti. Quelle doit être la tendance de cette politique ? Ici l’exemple des douze mois d’interrègne indique bien nettement la voie qu’il faut suivre. L’imprudence et la folie se sont rencontrées où auraient dû régner l’expérience et la sagesse ; l’esprit d’ordre et de légalité s’est réfugié dans les classes où, chez d’autres nations, aurait dominé le désordre. Le peuple de la Grèce est excellent, plein de bon sens et d’intelligence politique, honnête, laborieux,

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1847.