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grade, mettait fin à cette inconcevable situation dans laquelle un grand nombre de bataillons, ayant chassé leurs officiers supérieurs, étaient conduits par des lieutenans et même par des sous-officiels. Il ne tint compte en agissant ainsi que de la valeur des hommes, au lieu de regarder aux distinctions de partis, et ses choix obtinrent l’approbation unanime des honnêtes gens ; mais ils ne pouvaient convenir aux révolutionnaires. Tous les officiers de grades élevés étaient hostiles aux idées anarchiques ; s’ils rentraient dans les postes qui leur appartenaient légitimement et s’ils reprenaient autorité sur leurs soldats, la démagogie perdait sa principale force d’action. Des appels à l’insubordination furent adressés d’Athènes même aux différens corps par plusieurs représentans du parti de M. Boulgaris, entre autres par M. Mastrapas, qui devint à cette occasion l’objet de poursuites judiciaires ; ces excitations ne trouvèrent que trop d’oreilles ouvertes. Les bataillons cantonnés à Tripolitza et à Lamia, connus par leur dévouement à l’ancien président du gouvernement provisoire et engagés au premier rang dans l’insurrection de juin 1863, refusèrent de recevoir les commandans que leur envoyait le ministre de la guerre. M. Smolensky demanda un châtiment prompt et exemplaire des sous-officiers chefs de la révolte ; le chef du cabinet donna raison à ceux-ci contre son collègue, qui dut se retirer. Il fut remplacé par le colonel Petmezas. C’était encore un homme capable et consciencieux : aussi ne voulut-il pas accepter le rôle que prétendait lui imposer M. Boulgaris, et bientôt il se démit à son tour du mandat ministériel. Le président du conseil, ne trouvant plus aucun officier supérieur qui consentît à le seconder, confia le portefeuille des affaires de l’armée à un simple major, M. Tringuetta ; ce fait seul était le bouleversement de toute hiérarchie militaire. Un exemple suffira pour donner la mesure de l’état de désordre où retomba l’administration militaire.

Pendant six semaines, une compagnie d’infanterie dirigée sur la frontière à la poursuite des brigands venus de Turquie demeura littéralement perdue. On cessa tout à coup de recevoir de ses nouvelles, et l’on crut qu’elle avait déserté en masse à l’étranger ; enfin on la découvrit par hasard dans un village des environs d’Amphissa, chef-lieu de la Phocide, où elle se livrait aux plaisirs de la villégiature en vivant de réquisitions sur les paysans. L’insubordination reprenait donc plus que jamais son cours ; les soldats recommençaient à se débander et se portaient à des excès contre la population paisible. À Missolonghi, la garnison chassa les officiers qu’elle avait d’abord reconnus ; la garde nationale du chef-lieu de l’Acarnanie voulait réprimer ce mouvement, mais le préfet nommé par M. Boulgaris était de connivence avec les soldats. Trois compagnies, envoyées