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d’armes extraordinaires, chacun avait deux gardes de nuit par semaine ; aussitôt après le coucher du soleil, les patrouilles commençaient et duraient jusqu’au matin. Sur les routes, en dehors de la ville, la garde nationale tenait les postes occupés avant la révolution par la gendarmerie et faisait la plus active police ; des hommes de la même milice, renouvelés tous les quinze jours et recevant une indemnité de la mairie, faisaient le service de sergens de ville dans les rues. Des voyageurs timides et croyant aux brigands demandaient-ils une escorte, la garde nationale fournissait un détachement ; des individus suspects étaient-ils signalés dans la montagne, aussitôt on battait le rappel, et une compagnie partait en expédition ; un incendie éclatait-il, comme les pompiers, mêlés aux affaires de juin, avaient dû être éloignés, les clairons sonnaient au feu, et les gardes nationaux arrivaient sur le théâtre du sinistre, conduits par leurs officiers. Tout cela se faisait avec une activité, une douceur, une politesse, une simplicité qui ne se démentaient pas un seul instant. Après une nuit passée sous les armes, l’ouvrier retournait à sa besogne, le marchand à sa boutique, et la vie de la capitale n’était pas arrêtée par ce service pénible, dont chacun prenait sa part à tour de rôle. C’était un beau spectacle que celui de cette population se gardant elle-même et maintenant l’ordre dans son propre sein en l’absence de toute direction gouvernementale ; il était impossible de n’être pas frappé de cette ardeur de chacun à veiller sur la sécurité de tous, de l’instinct de légalité et de self-government qui se révélait dans les rangs du peuple. En dix mois de révolution, les habitans d’Athènes avaient puisé des enseignemens de vie sérieuse et virile que ne leur eussent peut-être pas donnés dix ans de gouvernement paisible et régulier, et il en avait été de même à Patras, à Syra, dans toutes les villes. Un tel peuple était digne de la liberté.


II

Dans les derniers jours du mois d’octobre, Athènes prit un aspect d’animation extraordinaire. Des préparatifs de fête se faisaient sur les principales places ; les maisons se décoraient de tentures ou de guirlandes de feuillage et se pavoisaient de drapeaux. Les bateaux à vapeur de la compagnie grecque versaient chaque soir des flots de passagers sur les quais du Pirée ; une foule compacte circulait dans les rues ; on ne trouvait plus à se loger nulle part, car trente mille étrangers et provinciaux s’étaient rendus de toutes les parties de l’Orient grec dans la cité de Minerve, dont ils doublaient presque la population. On attendait l’arrivée du nouveau souverain désigné