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fini ; le parti démagogique écrasé grâce à l’énergie du ministre de la guerre, la discipline eût été vite rétablie dans l’armée. L’intervention de la diplomatie amena au contraire un compromis bâtard qui donnait également tort et raison aux deux factions rivales, et faisait de la bataille livrée par elles une effusion de sang en pure perte.

Les troupes furent néanmoins renvoyées d’Athènes dans le fond des provinces, les fauteurs de désordre perdirent leur armée, et en même temps une discipline relative se rétablit parmi les soldats, désormais sevrés des excitations des clubs. La défense de la capitale et des environs fut confiée, exclusivement à la garde nationale, et en cinq mois de tranquillité la réaction conservatrice put grandir et se fortifier. Au commencement du mois de septembre, les agitateurs ne formaient plus qu’une infime minorité, incapable de trouver de l’écho dans la nation. Les « hommes du 22 octobre, » M. Boulgaris le premier, étaient tombés dans l’impopularité la plus complète. L’assemblée nationale, après quelques journées honorables au début, était devenue le seul foyer de trouble, et son autorité était absolument discréditée parmi les classes populaires. Les épreuves de la révolution avaient formé une opinion publique dans laquelle le pouvoir royal reconstitué devait trouver un appui.

C’est en ce moment même qu’eut lieu le voyage dont je résume ici quelques souvenirs. Si je m’en étais rapporté aux informations généralement répandues, je n’aurais dû trouver partout qu’agitation et désordre ; mais dès l’arrivée des indices certains montraient la réalité sous de moins sombres couleurs. Le port du Pirée était plein de navires ; sur les quais et dans les rues, le mouvement, toujours si actif, d’une ville maritime s’était accru ; en un mot, la première impression était favorable. J’étais descendu à terre en compagnie de deux honorables négocians de Marseille qui profitaient de la relâche du bateau pour faire un tour dans la ville. Croyant fermement aux récits de quelques romanciers et aux dernières correspondances des feuilles publiques, ils s’attendaient à être attaqués sur la route par des malfaiteurs. Dans la prévision d’une semblable aventure, ils s’étaient armés de revolvers et tenaient l’œil au guet. Comme on se trouvait au moment de la maturité des raisins, on voyait dans toutes les vignes, selon l’usage, des gardiens avec leur fusil chargé de cendrée, pour éloigner les oiseaux et les grappilleurs. Mes compagnons ne pouvaient se persuader que ces hommes à la longue carabine, à la fustanelle sale, à la mine rébarbative, n’eussent pas de mauvaises intentions : toutes les fois qu’ils apercevaient un canon de fusil au milieu de la verdure, ils portaient instinctivement la main sur leurs armes. Nous arrivâmes pourtant à Athènes après avoir pris le rahat-loukoum et