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un courage dont on ne le croyait pas capable, et cette conduite a été d’autant plus méritoire qu’il n’a reçu aucun appui de l’extérieur. Aux prises avec des élémens de désordre très redoutables, la société hellénique s’est défendue et sauvée elle-même.

En effet, si au lendemain de la révolution du 22 octobre 1862 on put craindre de voir la Grèce tomber dans l’état de désorganisation de l’Amérique espagnole, si le gouvernement provisoire se rua aux pieds de l’étranger avec un servile empressement, après trois mois seulement de cette dictature les montagnards[1], c’est-à-dire les seuls hommes d’action du parti conservateur, surent renverser M. Boulgaris et ses amis. Les vaincus de la journée du 20 février 1863, qui vit s’accomplir la chute du parti démagogique, n’abandonnèrent pas, il est vrai, la partie ; ils eurent recours au désordre pour reconquérir le pouvoir, ils ne craignirent pas d’exciter les déportemens des troupes débandées dans Athènes, et pendant plus de deux mois l’émeute gronda dans les rues. Cette situation se prolongea jusqu’aux journées de juin 1863. C’est alors qu’en réponse au choix fait par l’assemblée nationale d’un ministère conservateur, la garnison d’Athènes s’insurgeait tout entière sauf un seul bataillon, et avec l’aide de quelques exaltés essayait une nouvelle révolution. M. Coronéos, ministre de la guerre, tint résolument tête à l’orage avec la garde nationale et moins de 400 hommes de troupes demeurés fidèles à l’ordre ; l’assemblée, dont une partie des membres les plus considérables avaient prudemment disparu, se divisa en deux fractions ennemies, siégeant séparément et se combattant à coups de décrets ; pendant trois jours, la fusillade et la canonnade ne cessèrent pas, et des flots de sang coulèrent dans les rues de la ville. Ces journées, déplorables comme toutes celles où, suivant la belle expression de Dante, on voit « s’entre-déchirer ceux qu’enferment une même muraille et un même fossé[2], et dans lesquelles les deux partis déployèrent une grande bravoure, eurent d’utiles résultats ; mais elles en auraient eu de meilleurs encore, et elles auraient définitivement arraché la Grèce à l’anarchie sans l’intervention des ministres étrangers. Ceux-ci, sur la proposition du ministre d’Angleterre, imposèrent à M. Coronéos un armistice qui mettait les insurgés sur le même pied que le gouvernement légal. Un jour de combat de plus, et tout était

  1. Ce nom de montagnards, qui désignait la droite de l’assemblée nationale, n’a rien à faire avec la montagne de notre convention. Il correspondait exactement à ce qu’eût été en Écosse celui de parti des highlanders ; les montagnards de l’Acarnanie et de l’Étolie avaient en effet formé le premier noyau de ce parti.
  2. L’un l’altro si rode
    Di quei ch’un muro ed una fossa serra.