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autorité infaillible sur des bases discutables, c’est toujours une opération manquée d’avance, car c’est vouloir faire sortir l’absolu du relatif. Il n’y a que l’évidence physique et morale qui ait raison des résistances de ceux à qui elle déplaît ; toute autorité infaillible discutée est virtuellement renversée, et, dans la Bible comme partout, plus que partout ailleurs, le divin se justifie lui-même devant les consciences désireuses d’en ressentir l’influence.

Que la Bible reste donc ce qu’elle est, le monument impérissable de nos origines religieuses et le meilleur aliment de la piété réfléchie. Si son infaillibilité doctrinale ne peut plus être soutenue, le bien qu’elle a fait, qu’elle fait encore tous les jours, n’a jamais été plus évident qu’à cette heure. Sans doute, dans l’histoire des meilleures choses, les abus sont ordinairement mieux connus, plus saillans que les bienfaits qui en découlent. Parce que le fanatisme puritain, les excentricités méthodistes, l’ennuyeux ergotage de la controverse, les peurs intéressées de certains clergés ont fait mainte fois baisser la Bible dans l’estime de quelques populations, il ne faut pas être oublieux de tout ce qu’on lui doit. C’est d’elle en grande partie que procède le monde moderne, et l’imprimerie n’aurait pas accompli la moitié de son œuvre, si, très peu de temps après la découverte de cet art, des millions d’hommes n’avaient pas cru le salut de leur âme intéressé à ce qu’ils sussent lire. On dira tout ce qu’on voudra des sociétés bibliques, il n’en est pas moins vrai qu’il est magnifique de trouver, dans les pays où leur action est régulière, le premier des livres partout, jusque dans les plus humbles chaumières. Soyez sûr que dans tous ces pays-là il y a depuis longtemps des bibliothèques populaires et que le goût de la lecture y est général. Jamais la Bible n’a été l’objet d’une critique plus pénétrante et plus hardie que de nos jours, jamais son influence n’a été plus grande et sa propagation plus active ; c’est par milliers que l’on compte les comités qui la répandent, c’est par millions qu’il faut compter les sommes volontairement consacrées à cette œuvre de diffusion. Telle est l’immensité de la demande qu’il faut désormais l’imprimer à la vapeur à New-York et à Londres. Elle est traduite en plus de cent trente-cinq langues, et, comme jadis chez les Goths d’Ulfilas, elle a créé chez plus d’un peuple l’alphabet, la lecture et l’écriture ; le marin qui s’enfonce dans les régions polaires, l’aveugle, le sourd-muet restent ou entrent en communion avec nous tous grâce au livre ; le pionnier qui s’élance dans le far-west emporte avec le volume béni la foi de la mère-patrie et peut se passer de prêtres. Plus d’une fois, en feuilletant les pages inspirées, son œil se mouillera au souvenir d’une mère, d’un grand-père, maintenant endormis, qui dans son enfance lui expliquaient le soir les paroles de la