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que ratifier le suffrage universel de l’église. Celle-ci suivit-elle un principe bien arrêté dans ses choix et dans ses exclusions ? Nullement. Elle hésita longtemps dans ses préférences. Çà et là elle s’est positivement trompée dans l’idée qu’elle se faisait des livres qu’elle adoptait ; mais ce qui l’a toujours décidée, c’est qu’elle s’est retrouvée et reconnue dans ses livres préférés, que rien ne l’y choquait, et qu’elle y respirait l’esprit qui l’animait elle-même au moment où cette adoption devenait générale. Il en résulte donc que le christianisme authentique doit être cherché dans les élémens communs au recueil entier, car ce sont ces élémens communs qui ont voilé les différences ou empêché d’en sentir la portée. Toute tentative de changer le canon actuel au nom de la science moderne serait donc arbitraire et en réalité dénoterait une certaine inintelligence de sa vraie signification.

Il n’est pas moins évident que toute théorie en vertu de laquelle on devrait attribuer une égale valeur à toutes les parties de la Bible fait violence à l’expérience la plus élémentaire. Luther est en droit d’affirmer qu’un livre biblique est d’autant plus utile et divin qu’il enseigne le Christ plus clairement, car c’est sur le Christ que se concentre le grand intérêt religieux de la Bible entière ; il est le soleil dont toutes les autres personnalités bibliques, précurseurs ou successeurs, sont les satellites. Quant au principe de l’église réformée, la persuasion intérieure du Saint-Esprit, ce n’est pas autre chose au fond que l’affirmation de la valeur religieuse intrinsèque des livres de la Bible, et pourvu qu’on ne l’applique pas arbitrairement au volume entier, il se concilie parfaitement avec les inégalités profondes du recueil constitué par la tradition et avec toutes les exigences de la critique moderne sur l’origine, l’authenticité, la tendance particulière de chacun de ces livres. En définitive, la Bible par le au sens religieux de l’homme, comme un grand poème, une grande œuvre d’art parle à son sens esthétique, comme un raisonnement exact à son sens du vrai. Ainsi comprise, la valeur de la Bible est indépendante du nom de ses auteurs, de la date de ses livres, et la science a toute liberté de les fixer comme elle l’entend. Qu’importe à la vraie piété que ce soit l’apôtre Matthieu ou un inconnu qui ait rédigé le premier de nos Évangiles ? Le sermon de la montagne en sera-t-il moins divin, les paraboles du royaume de Dieu moins admirablement riches ? S’imaginer pareille chose, ce serait imiter ces amateurs de l’Iliade qui crurent que le beau vieux poème allait perdre tout son charme parce que Wolf avait découvert qu’il provenait d’une pluralité d’auteurs. Ne faisons pas dépendre les intérêts les plus sérieux de faits douteux et continuellement exposés au feu de la critique. Asseoir une