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validité du canon. La Sorbonne, toujours très conservatrice, pensa qu’elle couperait court à tout en proscrivant purement et simplement toute espèce de doute sur la matière. Enfin le concile de Trente fixa pour jamais le canon de l’église catholique pour l’Ancien et le Nouveau Testament. En réalité, la seule différence essentielle qui distingue ce canon de celui qui fut adopté par les protestans, c’est que l’assemblée catholique ajouta officiellement au canon hébreu les apocryphes de l’Ancien Testament.

Au point de vue traditionnel pur, auquel se plaçait le concile de Trente, cette adjonction des apocryphes de l’Ancien Testament était logique ; au point de vue des protestans, qui voulaient revenir autant que possible au primitif en fait d’Écriture sainte, le rejet des apocryphes ne l’était pas moins. Il est vrai qu’ils ne prévoyaient pas que leurs descendans pourraient appliquer même au canon conservé une bonne partie des argumens qu’ils dirigeaient contre ces livres inconnus des anciens Juifs ; mais ce n’est pas le seul point où la réforme posa des précédens et des principes dont la postérité pouvait seule apprécier les conséquences. Dans la lutte, poursuivie au nom de la Bible, contre l’église catholique, la réforme fut entraînée à faire du canon un dogme immuable. Elle y fut encore poussée par le prestige, le charme tout-puissant que la Bible, répandue à profusion par l’imprimerie, exerça sur les populations. Nous ne pouvons nous faire une idée aujourd’hui des transports d’enthousiasme qui accueillirent cette merveilleuse littérature de l’antiquité juive et chrétienne. Cependant, à l’origine même du mouvement réformateur, il s’en fallait de beaucoup encore que la théologie protestante eût renoncé à son droit de critique sur cet élément de la tradition chrétienne qui s’appelle « le canon des livres saints. » Luther lui-même fut à cet égard d’une hardiesse qui scandalise aujourd’hui les protestans timorés. Selon lui, ce n’était pas la tradition qui devait indiquer la valeur canonique des livres saints, c’était le plus ou moins de clarté ou de force de leur témoignage en faveur du Christ et de son œuvre rédemptrice. « Ce qui n’enseigne pas le Christ, dit-il, n’est pas apostolique, lors même que Pierre ou Paul l’aurait dit ; au contraire, ce qui prêche le Christ, voilà ce qui est apostolique, cela vînt-il de Judas, d’Hérode ou de Pilate. » Voilà ce qui lui faisait mettre l’Évangile et la première épître de Jean, les épîtres de Paul et la première de Pierre au-dessus de tous les autres livres. En revanche, il traite l’épître de Jacques « d’épître de paille[1], » l’épître de Jude « d’inutile, » et reproche à l’épître aux

  1. On sait que, selon Paul, l’homme est justifié par la foi, et, selon Jacques, par les œuvres. Luther plaisante quelque part sur la peine que Mélanchthon se donne pour faire concorder les deux formules : la foi justifie, la foi ne justifie pas. « Je mettrai mon bonnet de docteur à celui qui fera rimer cela, et je veux passer pour un fou. » C’est à titre de curiosité historique que nous relevons ce trait du grand réformateur, car nous sommes de l’avis de ceux qui trouvent son dédain de Jacques souverainement injuste.