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qu’il a le monopole de l’esprit divin, et la majorité ne demandera pas mieux que de le croire. En deux mots, la résultante de tous ces mouvemens disparates, l’idée qui les relie et les domine, c’est le sentiment toujours plus général qu’il faut régulariser tout ce qui s’appelle inspiration.

C’est une histoire bien curieuse que celle du second siècle de l’église ; on y trouve les germes latens de toutes les oppositions et de toutes les institutions qui en déterminèrent par la suite le développement historique. C’est le siège de Rome qui commence à se sentir des droits à la prééminence, c’est l’unitarisme qui s’affirme avec puissance, c’est la théologie savante qui s’essaie dans Alexandrie, c’est enfin une multitude incroyable d’œuvres apocryphes qui circulent partout dans l’intérêt des doctrines les plus diverses, et ce mouvement est démocratique dans toute la force du terme. Ce ne sont pas des personnalités imposantes qui le créent ou le dirigent. L’église, qui a gagné beaucoup d’adhérens dans la petite bourgeoisie des villes et qui commence seulement à s’attirer les sympathies de quelques platoniciens, n’a pas un seul grand penseur, un seul grand écrivain à proposer avant la fin du siècle à l’admiration de la postérité. Tout se fait sous le voile de l’anonyme. Ce sont des conspirations inaperçues, qu’on dirait inconscientes, qui font que telle prétention réussit, que telle autre échoue. L’absence totale de vie publique, les mœurs sournoises, si j’ose ainsi dire, dues à la prolongation du régime impérial, ont certainement contribué à donner aux esprits le goût de ces procédés obliques, de ces méthodes souterraines, qui consistent à vulgariser certaines idées sans avoir l’air d’en prendre souci, et qui font qu’à chaque instant il faut savoir lire entre les lignes pour deviner le but de l’auteur, ou la portée de telle expression ou de telle coutume. Pendant trois quarts de siècle, Rome et l’Asie-Mineure sont partagées entre des observans (τηροΰντες) et des non-observans. Observans, de quoi ? Il faut toute une étude pour savoir qu’il s’agit du jour auquel on doit fixer la fête de Pâques, et surtout pour comprendre que toute la question des rapports entre le christianisme et le judaïsme est en jeu dans la dispute. Les uns veulent qu’on la célèbre avec les Juifs le 14 nisan de chaque année, ce sont les observans ; les autres soutiennent qu’il faut la reporter au dimanche suivant, ce sont les non-observans. S’imagine-t-on par exemple que, pour satisfaire ce vœu général qui demande qu’on régularise l’inspiration, des délégués des notables des diverses églises se réuniront, qu’il y aura délibération et entente, et qu’on proclamera officiellement devant la catholicité une liste de livres tenus pour seuls inspirés ? Non ; l’épiscopat lui-même, bien que solidement constitué dès la fin- de ce second siècle, n’a pas une pareille idée.